Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome I, 1876.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.
81
ANALYSES. — GIRAUD-TEULON. Les origines de la Famille.

s’interdit, ce n’est pas, on le verra, de faire des hypothèses (il avoue lui-même qu’elles sont nécessaires, les questions d’anthropologie préhistorique ne comportant pas jusqu’à présent de solutions rigoureusement scientifiques) ; mais c’est de faire des hypothèses à priori, incohérentes, et dédaigneuses des faits. Voilà précisément quelle doit être, selon nous, l’attitude de la philosophie à l’égard de l’observation et de l’expérience. Compter scrupuleusement avec les faits ; bien plus, n’édifier que sur eux et demander nos théories à la réalité elle-même, c’est là notre première règle ; mais il serait insensé de s’imaginer qu’on est tenu d’en rester au fait brut et de s’interdire la théorie. La besogne propre du philosophe au contraire, ou du savant, c’est d’expliquer, c’est-à-dire justement de faire jaillir de l’amas confus des faits « l’idée » qui les illumine.

Les vues que nous allons exposer ne sont pas toutes personnelles à M. Giraud-Teulon, et il n’a garde de les donner comme telles. Les ouvrages où il puise la plupart des faits qu’il cite, contenaient déjà, ou en germe, ou même entièrement développées, presque toutes les idées générales qu’il adopte. Son mérite propre et original est dans sa façon de les présenter, de les lier, d’en faire la synthèse. Quoiqu’il y ajoute souvent ses observations personnelles et le fruit de ses propres recherches, il prend beaucoup moins de soin de marquer ce qu’on lui doit à lui-même, que de nous dire à quel auteur, à quel livre, il emprunte telle ou telle pièce essentielle de son œuvre. Mais cette œuvre n’est pas moins la sienne, parce que, le premier, il a tâché de faire un tout de ce qui était épars. Ce n’est jamais un travail stérile, de recueillir et de concentrer des rayons, qui, dispersés, ne donnaient qu’une lumière douteuse.

Trois écrivains surtout lui ont fourni des faits et des idées :

Bachofen, Das Mutterrecht. Stuttgart, 1861.

Mac Lennan, Primitive Marriage. Edinburgh, 1865.

Morgan, Systems of consanguinity and affinity of the human family… Washington, 1871.

Au reste, il a glané partout où il a cru trouver des témoignages en faveur de sa thèse.

Cette thèse, la voici en deux mots : c’est qu’avant d’arriver à l’âge patriarcal, c’est-à-dire à la famille proprement dite, constituée sous l’autorité paternelle, l’humanité a passé par des états inférieurs, par la promiscuité sans doute à l’origine, et, certainement, par une longue période où elle ne connut que la famille maternelle et la parenté par les femmes. Comment elle a pu s’élever peu à peu de ces formes sociales si grossières à l’organisation déjà avancée que nous rencontrons dès les premiers temps historiques, c’est ce que l’auteur essayera de montrer, après avoir établi que la famille patriarcale a été, non pas le point de départ des premières sociétés, mais « le terme d’une longue étape antérieure de l’humanité. »

L’opinion qu’il va combattre est assûrément très-répandue. Nous regrettons d’autant plus qu’il n’ait pas nommé les savants qui l’ont soutenue