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seulement seulement prendre comme preuve le nombre des mots généraux et le nombre des mots abstraits dans le vocabulaire d’un peuple, mais aussi le degré de généralité ou d’abstraction de ces mots ; car il y a des originalités du premier, du second, du troisième ordre, etc., et des abstractions variant également en degré. Bleu est une abstraction se rapportant à une classe d’impression tirée des objets visibles ; couleur est une abstraction plus élevée se rapportant à beaucoup de classes semblables d’impressions visuelles ; propriété, une abstraction plus élevée encore, se rapportant à certaines classes d’impressions perçues non pas par les yeux seuls, mais par les autres organes des sens. Si on parvenait à classer les généralités et les abstractions dans l’ordre de leur étendue et de leur degré, on obtiendrait un critérium qui, appliqué au vocabulaire des peuples sauvages, permettrait de juger du degré de développement intellectuel qu’ils ont atteint.

Aptitudes particulières. — Il faut ajouter à ces caractères spéciaux de l’intelligence qui indiquent les différents degrés de son développement, les caractères inférieurs en rapport avec le mode de vie, c’est-à-dire les sortes et les degrés de facultés qui ont pris naissance et se sont adaptées aux habitudes quotidiennes, par exemple, l’habitude de se servir de ses armes, la faculté de suivre une piste ou de distinguer rapidement les objets individuels. On peut en même temps se livrer à des recherches sur certaines particularités esthétiques qui semblent appartenir en propre à quelques races et pour lesquelles on n’a pas encore donné d’explication. Ainsi, par exemple, les débris trouvés dans les cavernes de la Dordogne nous prouvent que leurs habitants, quelque sauvages qu’ils dussent être, savaient dessiner et sculpter des figures d’animaux avec un certain talent, alors qu’il y a aujourd’hui des peuples sauvages qui, probablement, sont plus élevés sous certains rapports que les hommes des cavernes et qui cependant semblent incapables de reconnaître un dessin quelque qu’il soit. Il en est de même pour la musique. La faculté musicale qui fait presque absolument défaut chez quelques races inférieures est, au contraire, développée à un degré très-extraordinaire chez d’autres races qui ne sont pas beaucoup plus élevées, les nègres par exemple ; chez les tribus nègres le sentiment musical est parfaitement inné et un missionnaire qui a vécu longtemps au milieu d’eux m’a dit que quand il apprenait aux enfants l’air des psaumes, il s’en trouvait parmi eux qui faisaient spontanément une seconde partie. Il serait fort intéressant de savoir si l’on peut découvrir quelque cause à ces particularités de race.

Spécialité de la nature des émotions. — Ce sujet mérite une étude