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g. h. lewes. — spiritualisme et matérialisme.

On n’a pu démontrer aucune unité, soit anatomique, soit physiologique, et aucun centre analogue n’est démontrable. L’unité est dans l’organisme entier. Ce n’est pas le cerveau qui pense et qui sent : c’est l’homme. Si l’on peut, dans un sens très-large, appeler l’esprit une fonction de l’organisme, comme la vie peut être appelée une fonction de l’organisme ; ou si l’on peut, dans un sens plus restreint et analytique, appeler l’esprit une fonction du système nerveux, et en poursuivant l’artifice, une fonction du cerveau, il n’y aura aucun danger à cela tant que l’on reconnaîtra que c’est par un artifice. Mais c’est une chose qu’oublient toutes les hypothèses matérialistes, quand elles essayent d’expliquer par un facteur ce qui, en réalité, est le produit de plusieurs. Il est nécessaire, pour faciliter les recherches, de localiser certaines fonctions mentales, celle par exemple de la vue, l’ouïe, et des autres sens, ainsi que celles de la perception, de la conception, de l’amour, de l’imitation, etc., de même que nous localisons les fonctions vitales de la digestion, de la sécrétion, du mouvement, etc. ; cependant il ne nous est pas plus permis de supposer que c’est l’organe de la vue qui perçoit un objet ou conçoit un signe, qu’il ne nous est permis de supposer que c’est l’estomac qui met nos membres en mouvement. L’hypothèse d’après laquelle la perception et la conception, l’émotion et la volition sont des propriétés des cellules cérébrales — comme la gravitation est une propriété de la matière — n’est pas plus rationnelle que l’hypothèse d’après laquelle les produits d’un chemin de fer seraient des propriétés de la vapeur. Je ne nie pas l’importance des cellules cérébrales, bien que je pense qu’on l’a grandement exagérée. Ce que je nie, c’est qu’un élément d’un groupe extrêmement complexe puisse être scientifiquement considéré comme la cause d’un résultat très-complexe. Attribuer la pensée aux cellules cérébrales c’est se mettre singulièrement en opposition avec le refus universel d’attribuer la même propriété aux cellules qui ont la même structure, de la moelle épinière et de la moelle allongée. Il est permis au spiritualiste de faire du cerveau l’organe de l’esprit ; mais le matérialiste est manifestement inconséquent, quand il regarde la pensée comme une propriété dernière des cellules nerveuses, et quand il refuse cette propriété aux mêmes cellules partout où elles se trouvent. Quand même les cellules cérébrales auraient, dans le mécanisme psychique, la même importance qu’a le grand ressort dans le mécanisme d’une montre, je refuserais encore d’admettre que la sensation et la pensée sont les propriétés de ces cellules, comme je refuse d’admettre que l’indication du temps soit une propriété du ressort d’acier. L’esprit n’est pas une propriété, ce n’est même pas une fonction simple. C’est l’agrégat