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voient que les matérialistes ne rejettent pas plus les faits de conscience en niant l’hypothèse qui les considère comme le produit d’un esprit, que les partisans de Berkeley, en niant l’hypothèse ordinaire de la Matière, ne rejettent les faits d’existence. Il ne nous est pas plus permis de nous attendre à voir le matérialiste se retourner contre les obligations morales, qu’à voir l’idéaliste se jeter tête baissée contre un réverbère ; bien que ces conclusions aient été gravement « déduites » par les adversaires.

Le spiritualisme et le matérialisme contiennent tous les deux beaucoup de vérité, et beaucoup d’erreur. Chacune de ces doctrines réunit avec succès certains faits importants et fixe l’attention sur des points fondamentaux. Mais chacune d’elles commet contre la méthode scientifique le péché commun qui consiste à oublier la nature artificielle de l’analyse, et à attribuer ainsi à un facteur le produit qui résulte clairement de plusieurs. Chacune d’elles est égarée par le désir de trouver une cause simple pour un effet complexe ; ce qui est un désaccord flagrant avec le principe fondamental de la causalité. De plus elles ont chacune le défaut d’une observation incomplète. Les inductions prennent la place des faits ; et les faits qui ne peuvent être expliqués par l’hypothèse sont laissés de côté. Le spiritualiste s’appuie sur une induction qu’aucune observation ne pourra jamais vérifier — l’existence d’un esprit ; et le matérialiste s’appuie sur des inductions qu’aucune observation ne pourra, également, jamais vérifier, — à savoir l’existence de « propriétés vitales » dans l’électricité, ou bien l’existence de la pensée « comme propriété inhérente à la substance cérébrale. »

Il est probable que beaucoup de lecteurs n’accepteront pas cette assertion que les deux hypothèses contiennent une grande part de vérité ; mais leur opposition s’évanouira, s’ils considèrent quels hommes éminents ont été les défenseurs de chacune d’elles. Il n’est jamais, sage de prétendre qu’un adversaire est un sot, tout simplement parce qu’il soutient ce qui vous semble une folle opinion. Elle n’est pas folle pour lui ; et nous ferions bien de comprendre comment il en est ainsi. Pour réfuter une opinion, nous devons la comprendre ; et nous ne pouvons comprendre les aspects qu’elle présente à son esprit, à moins de nous mettre nous-même à son point de vue. Si de ce point de vue nous pouvons voir ce qu’il voit, et voir davantage, nous pouvons espérer d’agrandir son horizon ; ce qui ne se pourrait jamais en niant ce qu’il voit.

Bien que ma tournure d’esprit soit profondément opposée à celle du spiritualisme, je puis dire en toute conscience qu’aucun effort de ma part n’a été épargné pour chercher les arguments les plus solides