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r. lépine. — les localisations cérébrales.

sous le rapport intellectuel, et surtout on a accordé une valeur plus grande aux bonnes observations pathologiques recueillies sur l’homme. On a compris que c’était à l’homme lui-même qu’il fallait s’adresser pour pénétrer les mystères du cerveau humain, méthode évidemment plus sûre et qui est d’ailleurs (vu l’existence de facultés propres à l’homme) parfois la seule applicable.

I

L’aphasie.

La faculté dont la localisation a été la première établie sur des faits scientifiques est précisément dans ce cas : c’est celle du langage[1]. Dès 1825 M. le professeur Bouillaud, se fondant sur quelques faits pathologiques, soutint qu’elle siége dans les lobes antérieurs du cerveau[2]. Il ne put faire accepter son opinion, bien qu’il ne précisât pas davantage, ou plutôt parce qu’il ne précisait pas assez. Car le territoire du langage étant situé, ainsi qu’on va le voir, tout-à-fait à la partie postéro-inférieure du lobe frontal, les lésions de la partie la plus antérieure de ce lobe pouvant, par conséquent, ne pas troubler ses fonctions, les adversaires de M. Bouillaud avaient beau jeu à lui citer l’histoire des blessés qui avaient conservé jusqu’à la fin de leur vie l’usage de la parole, quoique la partie antérieure de leur cerveau eût été labourée par un projectile[3].

Localisant davantage, M. le professeur Broca put échapper à ce genre d’objections. Il eut, à l’hospice de Bicêtre, l’occasion d’observer un individu présentant cette particularité singulière de ne pouvoir prononcer qu’un seul mot ou plutôt une seule syllabe : tan. Quelle que fut la question qu’on lui adressât, il répondait invariablement : tan. Et cependant cet individu n’était pas idiot ; sa maladie ne datait que de quelques années, et il était facile de se convaincre qu’il avait conservé son intelligence. À l’autopsie de ce malade, M. Broca ne

  1. C’est uniquement pour la commodité de l’exposition que nous nous servons ici du mot de faculté, suivant en cela les errements de nos prédécesseurs ; nous sommes les premiers à reconnaître que cette expression n’est pas à l’abri de toute critique.
  2. Antérieurement, Gall avait déjà localisé la faculté du langage dans les lobes antérieurs, mais seulement dans leur portion sus-jacente à la voûte orbitaire. Comme cette localisation est tout à fait inexacte, on ne peut lui en faire un mérite.
  3. Voir notamment Bouillaud (Archives de médecine, 1825, l. VIII, et Bulletin de l’Académie, 1839, t. iv, p. 282, et id., 1848, t. xiii, p. 699 et suivantes.)