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e. de hartmann. — schopenhauer et frauenstaedt.

n’a qu’à s’allier avec ces dernières, elle n’a qu’à considérer sa matière au point de vue de la science, de l’art et de la philosophie, et. alors elle acquerra de la valeur ; elle ne sera plus vouée au mépris, car elle sera apte à nous faire connaître l’essence de l’humanité. Si Schopenhauer prétend que les biographies, et surtout les autobiographies, sont plutôt propres à nous faire acquérir cette connaissance que l’histoire, je ferai observer que celles-là, pour être instructives, sont obligées de représenter l’individu non pas détaché du terrain historique, mais dans ses rapports constants avec l’histoire de son époque. Par conséquent, une biographie, qui ne reflète pas ces rapports, est défectueuse, et si la biographie doit avoir l’importance que lui attribue Schopenhauer, il faut qu’elle soit unie à l’histoire, et non pas qu’elle lui soit opposée. Bien plus, non-seulement les biographies, mais encore les poèmes épiques et dramatiques, ont d’autant plus de valeur qu’ils se meuvent davantage sur le terrain historique. « La seule condition à laquelle la connaissance des temps puisse avoir du prix à nos yeux, c’est que l’histoire nous présente un but, un plan déterminant et dominant tout le développement historique ; alors le passé servira à expliquer le présent, et à anticiper l’avenir avec le concours de ce dernier. Un sommeil long, pesant et confus, ne vaut pas la peine qu’on s’en souvienne, et n’admet pas d’explication. »

Ici Frauenstaedt passe encore plus clairement que dans la philosophie de la nature de Schopenhauer, de la méthode philosophique anti-historique à la méthode historique. Celui qui reconnaît dans le processus du monde un développement historique de la nature et de l’humanité cesse par là de considérer le monde comme achevé, et admet que le cosmos s’est développé jusqu’ici et est encore en train de se développer. Dès que la philosophie historique s’élève au-dessus de l’histoire de l’humanité et reconnaît aussi dans la nature un développement conforme à un plan, elle est eo ipso une philosophie cosmogonique. Il est évident qu’au point de vue de son idéalisme subjectif, Schopenhauer a dû se prononcer énergiquement contre cette philosophie, mais il s’y est conformé, même contre son gré, partout où sans s’en apercevoir il abandonnait le terrain de l’idéalisme subjectif pour suivre la méthode réaliste.’Il est impossible de comprendre que Frauenstaedt, après avoir rejeté l’idéalisme subjectif et admis le système historique du monde dans la philosophie de la nature et dans l’histoire, veuille encore maintenir au point de vue théorique cette conséquence du subjectivisme, et qu’il blâme Schopenhauer d’être retombé en partie dans la méthode historique et cosmogonique. Il aurait dû plutôt se servir justement de ces passages comme d’un excellent point d’appui pour une transformation réaliste du système.