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E. de HARTMANN. — SCHOPENHAUER ET FRAUENSTAEDT 545

tation absolument inconsciente et peut encore moins que Schopenhauer s’empêcher de la reconnaître[1]. En second lieu, on verra qu’il lui est impossible de refuser à cette représentation inconsciente (dès qu’il aura cessé de la confondre avec la conscience généralisée) la coordination avec la volonté.


VII. — La Téléologie.

Dans la Philosophie de l’inconscient j’ai cherché à démontrer l’hypothèse de la représentation inconsciente en première ligne par des raisons téléologiques. Je vais donc tout d’abord considérer à quel point de vue Frauenstaedt se place dans son essai de transformation à l’égard de la téléologie. Dans ses idées sur la téléologie, Schopenhauer flotte entre l’idéalisme subjectif et l’idéalisme objectif (ou réaliste). C’est le premier qui domine dans son ouvrage principal où il s’appuie sur la Critique du jugement de Kant ; dans ses écrits postérieurs, par exemple dans celui sur la volonté dans la nature, il incline davantage vers le réalisme, sans avoir rompu cependant avec l’idéalisme, ou sans qu’il ait conscience de la différence entre ces deux manières de voir et de l’impossibilité de les concilier.

La théorie subjective de Kant consiste en ce que la nature réelle ne renferme en elle-même aucune finalité, mais que cette dernière y est introduite par le jugement entraîné par une tendance irrésistible de sa nature. Les considérations téléologiques ont donc seulement de la valeur en tant que la nature est le produit de notre représentation, c’est-à-dire consiste en phénomènes subjectifs ; mais elles n’ont aucune valeur transcendantale, c’est-à-dire elles ne trouvent aucune application dans la nature, si on entend par cette dernière un monde de choses en soi ; elles sont, comme la causalité, une vérité, pour le monde des phénomènes subjectifs, mais, de même que la causalité, une illusion trompeuse par rapport à un monde existant indépendamment de notre conscience[2].

  1. Pour le dernier je l’ai déjà prouvé dans mes essais philosophiques réimprimés dans le « Recueil d’études et de traités, » D. IV. n° 5 et 6.
  2. Cette égalité entre la vérité et la valeur de la causalité et de la téléologie échappe complètement à ceux qui croient à tort pouvoir invoquer l’autorité de Kant, dans leur opposition contre la téléologie et attribuent en même temps à la causalité une valeur illimitée. On aurait à peu près le même droit de s’appuyer sur Kant pour combattre la causalité comme une fonction illusoire de l’entendement, sans aucune signification dans le monde réel (c’est-à-dire existant en dehors de la conscience) et accorder à la téléologie seule une valeur certaine.