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plus originale du livre de M. Nolen. On est vraiment émerveillé de tout ce qu’il a dépensé de sagacité et d’érudition pour établir entre Kant et Leibniz une conciliation définitive. On peut dire qu’il a en grande partie réussi ; car, après avoir lu son travail, il est impossible de conserver cette opinion vulgaire, que la philosophie critique est le contraire de la métaphysique leibnizienne qu’elle a détruite sans retour ; on est amené à convenir que la philosophie critique diffère du leibnizianisme qu’elle complète bien plutôt qu’elle ne le détruit. Maintenant, dans une entreprise aussi difficile, aussi éloignée des voies communes, il n’est pas bien surprenant que l’auteur ait parfois sacrifié au désir de conciliation quelque chose de l’exactitude rigoureuse. Ici encore les devoirs de la critique nous obligent de marquer entre M. Nolen et nous quelques dissentiments.

Revenons à la question de l’espace et du temps. M. Nolen nous dit (p. 236) : « L’originalité et la nouveauté de l’esthétique sont-elles aussi indiscutables que le rôle capital qui lui revient dans la révolution critique ?

Avant Kant, dit Schopenhauer, nous étions dans le temps, depuis lui le temps est en nous.

Schopenhauer oublie que Leibniz avait, avant Kant, enseigné l’idéalité du temps. »

Sans aucun doute, mais le temps est-il pour Kant un idéal de même nature que pour Leibniz ? Pour Leibniz le temps est un ordre de coexistence des choses sinon réelles, au moins possibles ; pour Kant il n’est qu’une pure forme de la sensibilité. M. Nolen, qui a bien vu la portée de l’objection, en vient à dire (p. 238) : « Les sensualistes auraient trop beau jeu contre Kant, s’il fallait prendre à la lettre son esthétique transcendentale. » Je ne crois pas que le sévère génie de Kant se soit jamais accommodé de pareils tempéraments ; je ne crois pas que Kant eût jamais refusé d’être pris à la lettre, même sur les points qui semblent le plus en contradiction avec le bon sens vulgaire. Je supposerais plutôt que M. Nolen s’est laissé trop entraîner par son désir de conciliation.

Je ne puis me défendre d’une remarque analogue au sujet du déterminisme. M. Nolen nous dit : « Kant laisse de côté toute hypothèse théologique : le déterminisme est nécessaire à ses yeux, parce que sans lui, l’expérience, la science de la nature seraient impossibles, et que les faits échapperaient à la pensée… (p. 248). Sans l’apparente diversité des idées du langage, Leibniz ne dit pas autre chose que Kant (p. 249). »

Je me borne à placer en face de l’affirmative de M. Nolen la page suivante de M. Janet, le plus habile peut-être de tous les interprètes français de la philosophie kantienne.

« Pour bien faire comprendre la théorie de Kant sur ce point, il faut bien savoir qu’il distingue deux sortes de causalité : la causalité intelligible, et la causalité empirique ; l’une s’exerçant en dehors de l’es-