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présente sous son plus beau jour, en la rajeunissant par le détail, la théorie de la personnalité humaine, libre dans ses actes et responsable dans son choix. Nous touchons ici le point culminant de l’œuvre. On peut regretter que M. Caro n’ait pas cru devoir s’y arrêter plus longtemps. Mais il reprend aussitôt son rôle de critique, et la seconde moitié de l’ouvrage est remplie, comme la première, par la discussion des systèmes. Seulement il ne s’agit plus, comme tout à l’heure, des origines et des fondements de la morale : le débat porte sur les conséquences et les applications pratiques, particulièrement sur le droit de punir, et sur les métamorphoses de l’idée du progrès.

Revenons avec quelques détails sur les points essentiels abordés dans les Problèmes de morale sociale.

La réfutation de la Morale Indépendante est une des parties les plus fortes de l’œuvre. M. Caro analyse les causes qui ont fait à la nouvelle école une popularité supérieure à son mérite. Dans un temps où la métaphysique traverse une crise redoutable — crise suprême aux yeux de beaucoup d’esprits — il était naturel qu’on écoulât avec faveur la voix de philosophes honnêtes et convaincus, qui prenaient l’engagement de maintenir debout les lois de la morale sur les ruines de la vieille philosophie. On ne recherchait pas si ces promesses pouvaient être logiquement tenues : on ne regardait pas aux moyens : on considérait le but qui séduisait et charmait, puisqu’il donnait satisfaction à la fois à un instinct éternel de lame humaine, le besoin d’une règle de conduite et d’une autorité morale, et à une tendance marquée de notre temps, le désir de se passer de la métaphysique. Plein de respect pour les intentions des moralistes de l’École Indépendante, M. Caro critique seulement les inconséquences logiques d’un système qui voudrait conserver tout ce que la morale intuitive ou rationnelle contient de leçons et de préceptes, tout en se débarrassant des principes qui seuls peuvent les justifier et les autoriser. C’est une chimère analogue à celle que poursuivent en politique les utopistes qui veulent tout ensemble maintenir l’ordre et supprimer l’autorité.

M. Caro distingue dans les doctrines de M. Massol et de ses amis des vérités qui ne sont pas nouvelles, telles que l’idée d’une morale philosophique, indépendante de toute révélation ; et des nouveautés contestables ou fausses : la prétention de constituer la morale sur un fait empirique, sur deux faits tout au plus, qui seraient le sentiment de notre liberté et la conscience de son inviolabilité. C’est là, à vrai dire, l’originalité la plus claire de la Morale Indépendante. Sur ce point M. Caro lui conteste avec raison le droit de se réclamer du témoignage de Kant, comme elle l’a essayé quelquefois. Kant n’est-il pas le plus rationaliste des moralistes, puisqu’il subordonne les actions humaines à des lois impératives et absolues, que la raison pratique rattache ensuite à Dieu comme autant de commandements divins ? Sans doute, d’après Kant, la volonté est autonome : elle se commande à elle-même, mais elle ne le peut précisément que parce que l’esprit s’élève par delà la conscience