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une activité normale, de même qu’une activité anormale, au regard de chaque être vivant. Même au sein de l’évolution qui emporte tout dans son cours, il y aura toujours un défaut, ou un excédant, ou bien une moyenne d’activité, en rapport avec la nature de chaque être, au moins tel qu’il est actuellement, à tel ou tel degré de transformation, cette nature ne fût-elle que provisoire, et dût-elle changer plus ou moins dans la suite infinie des temps. Supposons en effet un moment, je le veux bien, qu’il n’y ait point d’espèces véritables, rien de fixe et d’essentiel dans la nature humaine et dans tous les êtres vivants, rien qui s’impose comme un type absolu ; toujours est-il qu’il faudra bien tenir compte de la nature spéciale d’un être, quel qu’il soit, et admettre quelque rapport de convenance entre son état actuel et la quantité, la dose, les directions d’activité qui lui sont bonnes ou mauvaises. Il y aura une psychologie de l’homme tel qu’il est, jusqu’à ce qu’il se transforme en quelque autre être d’une nature supérieure, si tant est que jamais, après avoir été un singe, il doive devenir un ange. Maintenons donc, à tous les points de vue, relativiste ou absolutiste, comme dit M. Dumont, l’existence d’une activité, d’une évolution normale au sein de laquelle quantité et qualité sont choses qui ne se séparent pas. Demandons-lui à tout le moins la permission de garder jusqu’à nouvel ordre notre théorie pendant ces milliers d’années qui s’écoulent dans les intervalles de ces évolutions à long terme, qui doivent aboutir un jour à changer les facultés et la nature des êtres. L’évolution, fût-elle entièrement démontrée, ne dispenserait en rien de la vieille méthode psychologique, comme l’a très-bien établi James Sully, un des plus récents et des plus remarquables auteurs de la nouvelle école anglaise[1].

Mais M. Dumont semble de plus en plus perdre de vue cette activité particulière, déterminée, une et indivisible, qui est l’essence même de l’homme, comme de tout être vivant et dont le jeu régulier engendre le plaisir, de même que ses irrégularités, ses excès ou ses défauts engendrent la douleur. Plutôt que d’admettre des espèces, des facultés et une activité normale, il lui plaît d inventer des combinaisons abstraites et d’imaginer je ne sais quel mécanisme rationnel du plaisir et de la douleur. « Il y a plaisir, dit-il, toutes les fois que l’ensemble des forces qui constitue le moi est augmenté, sans que cette augmentation soit assez considérable pour produire un mouvement de dissolution de ces mêmes forces, il y a peine au contraire lorsque cette quantité de forces se trouve diminuée[2]. »

  1. Sensation and intuition, studies in psychology and æsthetics. Essay 1. London, 1874.
  2. P. 64.