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P. JANET. — LES CAUSES FINALES

Ces distinctions, au contraire, sont nettement indiquées dans cette formule de Bossuet, la meilleure et la plus philosophique de toutes que nous connaissions : « Tout ce qui montre de l’ordre, dit-il, des proportions bien prises et des moyens propres à faire de certains effets, montre aussi une fin expresse ; par conséquent, un dessein formé, une intelligence réglée et un art parfait[1]. » On voit que pour Bossuet le principe contient deux parties, et deux affirmations distinctes : 1o l’existence d’une fin expresse, dont les signes ou marques sont les proportions bien prises ; 2o l’affirmation d’une intelligence, dont la preuve se tire de l’existence des fins. Le dessein, l’intelligence, l’art, ne sont affirmés que comme corollaires de la finalité. — S’il y a des fins, y a-t-il une intelligence ? question à débattre avec les partisans d’une finalité inconsciente. — Y a-t-il des fins, à quoi les reconnaît-on ? question à débattre avec les partisans du mécanisme aveugle de la nature. Ces deux questions sont donc très-bien distinguées par Bossuet. De plus, il voit nettement que la difficulté est précisément de savoir quel est le signe de la finalité. Il ne dit pas d’une manière vague comme Jouffroy : « Tout être a une fin ; » car c’est ce qui est en question. Il n’avance pas une tautologie, comme Reid : « S’il y a des marques d’intelligence, il y a de l’intelligence. » Mais il dit : « S’il y a des proportions bien prises, propres à certains effets, il y a des fins ; » et de plus : « s’il y a des fins, il y a de l’intelligence. » La formule est donc excellente et très-solide. Cependant on pourrait en critiquer quelques mots. Est-il vrai, par exemple, que l’ordre implique toujours un but ? cela dépendra du sens que l’on donnera au mot ordre. Quoi de mieux réglé que les combinaisons chimiques ? Ont-elles un but ? c’est ce que nous ne savons pas. Il n’y a pas d’ordre plus rigoureux que l’ordre de la mécanique. Cependant, c’est une question de savoir si la mécanique est du domaine des causes finales. Je ne veux pas dire qu’en pressant l’idée d’ordre, on ne finirait pas par en faire sortir l’idée de finalité ; mais ces deux notions ne sont pas adéquates au premier abord. Bossuet dit encore que tout ce qui montre des moyens propres à faire de certains effets montre par là une fin expresse. On pourrait l’accuser ici de tautologie : car il est très-vrai que le moyen suppose la fin : mais pourquoi ? C’est que le moyen par définition est ce qui sert à une fin, de telle sorte que la question de savoir s’il y a des fins est la même que celle de savoir s’il y a des moyens. Que si par moyens, Bossuet entend tout simplement, comme on le fait souvent, des causes propres à produire un effet,

  1. Bossuet, Connaissance de Dieu et de soi-même, chap. IV, 1.