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des êtres coexistants. Même en la supposant parfaite, elle aurait pour résultat d’instituer dans l’entendement autant de formules distinctes que l’expérience nous montrerait de lignées distinctes ; bien que la multiplicité contenue dans chacune d’elles fût ramenée à une pensée unique, toutes ces séries n’en seraient pas moins pensées à part l’une de l’autre. Il faut donc chercher entre elles des corrélations qui permettent de les ramener toutes à des formules de plus en plus générales.

L’entreprise sera réalisable, si chaque formule spéciale se résout progressivement en éléments communs à toutes. La forme d’un être organisé est, en dernière analyse, la manifestation extérieure de la loi complexe qui règle la production, la spécification et la distribution des éléments organiques. Mais cette loi est-elle un système irrésoluble de rapports irréductibles, ou bien une somme de lois de plus en plus générales et de plus en plus simples ? Chaque lignée d’individus est-elle produite par un groupe spécial ou par plusieurs groupes coordonnés de causes ? Dans le premier cas, on ne pourrait qu’établir pour chaque lignée une loi irréductible, isolée de toutes les autres ; dans le second, les lois spéciales se résoudraient en lois de plus en plus générales. Alors les formes les plus diverses seraient peu à peu ramenées à l’unité ; des affinités de plus en plus vastes apparaîtraient entre les êtres les plus hétérogènes, et nos catégories, espèces, genres, ordres, classes, embranchements, seraient l’expression systématique des lois d’extension différente qui travaillent de concert à la production et à la conservation des formes individuelles. La classification ne serait plus alors un procédé artificiel destiné à soulager la mémoire et à faciliter nos recherches dans le répertoire immense des formes réelles ; mais elle serait la science des êtres coexistants, car si les espèces, les genres, les ordres, les classes, les embranchements, pour conserver la nomenclature adoptée, expriment le système des lois de coexistence qui agissent simultanément dans les individus, si chacune de ces lois a une fonction déterminée dans l’œuvre commune et une extension propre, si elles sont unies les unes aux autres par des rapports constants, les connaître, c’est avoir, autant qu’il est possible à l’esprit humain, réduit à l’unité la multitude indéfinie des individus dispersés dans l’espace, et les séries sans fin de leurs générations successives.

En fait, en est-il ainsi ? Malgré les accroissements considérables qu’elles ont reçus depuis un demi-siècle, les sciences de classification sont encore les plus imparfaites des sciences de la nature. Pourtant elles ont répondu à la question que nous avons posée. Contentons-nous d’interroger la zoologie. Un coq, un héron, un cygne