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nergie réelle, qui préexistait. Ainsi par une conséquence imprévue mais nécessaire de l’hypothèse, les essences suprasensibles auxquelles on attribue une puissance ordonnatrice, seraient des causes incessantes d’anarchie dans le monde.


II


Puisque les espèces et les genres ne sont ni des abstractions verbales, ni des entités suprasensibles, il reste qu’elles soient des lois, au sens positif de ce mot. Essayons de justifier cette définition.

Les phénomènes qui se succèdent dans le temps offrent aux sens une diversité infinie. La science a pour but de fixer et de réduire à l’unité cette multiplicité ondoyante et diverse. Elle commence par lier chaque phénomène spécial à un antécédent spécial. Puis comme cette première démarche, bien qu’elle concentre en un rapport unique le nombre indéfini des répétitions possibles du même fait, nous laisse encore en présence d’une multitude de termes hétérogènes, la science recherche les corrélations cachées des phénomènes en apparence les plus divers et, peu à peu, elle ramène les lois spéciales à des lois de plus en plus générales. L’idéal serait de découvrir une loi vraiment universelle, de laquelle toutes les autres dériveraient par une composition croissante.

Si les successions phénoménales sont réglées par des rapports de plus en plus généraux, n’est-il pas légitime de concevoir, sauf vérification expérimentale, qu’il en est de même pour les éléments coexistants ? Une telle conception aurait le double avantage de maintenir à la fois la réalité des individus et celle des espèces, et de nous faire comprendre comment celles-ci, sans être des entités suprasensibles, sont cependant distinctes de ceux-là. Considérons d’abord le cas le plus simple. On fait passer un faible courant électrique dans une dissolution d’un sel d’argent. Si l’on projette l’image agrandie du phénomène qui va s’accomplir, sur l’écran d’un microscope solaire, on voit surgir dans le liquide de petites masses qui se dirigent vers des points déterminés, s’unissent les unes aux autres, et par leur agencement réalisent de petits édifices aux contours nettement arrêtés. La science, pour expliquer ces formations cristallines, n’imagine pas que les molécules matérielles ont obéi à l’impulsion de moteurs invisibles, ni que sollicitées par un mystérieux attrait, elles ont reproduit les traits d’un modèle idéal ; mais elle voit dans la cristallisation l’œuvre des forces moléculaires. Les molécules du