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liard.notions d’espèce et de genre

existe véritablement, ce sont les idées ou les types dont ils reproduisent imparfaitement et pour un temps les traits. Nous sommes, dit-on, contraints d’admettre l’existence des essences suprasensibles sous peine d’ignorer à tout jamais la raison des ressemblances diversement étendues que présentent les individus. Vous êtes en présence de plusieurs animaux semblables, quelle est la raison de cette unité de structure ? Ces êtres laissent derrière eux une postérité qui reproduit leurs formes sans modifications importantes. Quelle est la raison de la persistance de l’unité de structure dans la durée ? Cette double raison ne saurait être cherchée dans la matière elle-même. Celle-ci, en effet, obéit à des lois distinctes de celles qui régissent la vie, et si les principes de la mécanique sont impuissants à expliquer le fait de l’organisation individuelle, encore moins peuvent-ils rendre compte du fait de l’organisation spécifique, et de la transmission continue des mêmes formes à travers les générations.

La plupart des difficultés invincibles que soulève le réalisme sont connues depuis longtemps. Et tout d’abord, comment connaîtrions-nous ces entités ? Ce n’est pas par les sens, qui ne s’exercent que sur l’étendue et ne sauraient par conséquent saisir l’idée type qui, par définition, est antérieure et supérieure à l’espace. Ce n’est pas davantage par une intuition spéciale distincte de l’intuition sensible, car une telle intuition, si elle existait, transformerait ses objets en phénomènes, ce qui est contraire à l’hypothèse. D’ailleurs, nous ne voyons pas que ceux qui croient à une appréhension directe des essences suprasensibles emploient à les déterminer le seul procédé qu’implique cette croyance ; au lieu de les décrire sans tâtonnements et sans retouches, d’après une vision immédiate, ils en forment les notions en recourant aux procédés lents et souvent trompeurs de l’analyse expérimentale. Si nous ne pouvons contempler les originaux invisibles des choses, sommes-nous du moins contraints, par le raisonnement, d’admettre qu’ils existent, tout en nous résignant à ne les voir jamais, et à en rechercher les traits dans les copies matérielles qui les imitent. Ce n’est pas la déduction qui peut nous y contraindre, car, au rebours de ce qu’il faudrait, elle conclut du genre aux espèces, et de f espèce aux individus. Sera-ce l’induction ? On serait tenté de le croire. L’induction, en effet, conclut des faits aux lois qui les régissent ; les faits sont singuliers et mobiles, les lois sont générales et constantes ; or, l’essence n’a-t-elle pas, elle aussi, pour caractères la généralité et la constance ? C’est vrai ; mais elle diffère d’une loi proprement dite, par le plus important de ses caractères : la réalité métaphysique. Quand le savant détermine la loi d’un fait, il n’entend pas la douer d’une existence suprasensible ;