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sition d’une vérité qui est le point de départ d’une série d’autres pensées, qui excite l’entendement à des élaborations nouvelles de conceptions et de raisonnements, peut produire au premier moment de véritables transports ; la même vérité nous laisse froids quelques jours après. Elle n’a cependant rien perdu de sa force ; seulement elle a produit sur nous, comme principe de changement, tout ce qu’elle pouvait produire.

II. Quand un organisme rencontre un objet nuisible, c’est-à-dire contraire à ses habitudes établies, il peut arriver de deux choses l’une : ou bien il modifie cet objet par sa force supérieure ; dans ce cas il n’y a pas accoutumance, du moins du côté de l’organisme ; ou bien il est détruit ou modifié par lui. Dans le cas de destruction, il n’y a pas accoutumance non plus ; si une balle introduite dans le corps amène la mort, c’est que l’ensemble des fonctions n’a pu s’adapter à sa présence. Il n’y a par conséquent d’accoutumance possible à l’égard d’un objet nuisible que dans le cas où cet objet détruit graduellement les qualités de l’organisme qui sont en antagonisme avec lui, dans une mesure qui permet aux autres fonctions vitales de se réajuster à l’état nouveau. Rappelons par exemple l’action des poisons sur le corps des animaux : à fortes doses ils tuent ; à doses graduées et souvent répétées, ils produisent l’accoutumance ; ils ont laissé aux organes le temps de s’habituer aux destructions partielles, aux suppressions de résistances ; et quand l’habitude est complète, le poison n’empoisonne plus. Son action peut même devenir nécessaire, et ce serait l’usage du contre-poison qui viendrait causer un nouveau trouble. On cite l’exemple de prisonniers qui ont eu beaucoup de peine d’abord à se faire à l’humidité, au manque de lumière, et qui dans la suite deviennent malades, quand ils sortent de leur cachot. Des savants qui se sont familiarisés avec le bruit de manière à pouvoir travailler au milieu d’un véritable vacarme, ne peuvent plus ensuite se livrer à leurs études dans le silence.

Une idée se présente à nous pour la première fois ; elle est contraire à nos opinions, à nos habitudes de pensée. Nous la déclarons fausse. Mais si elle revient à la charge, soutenue chaque fois par des arguments nouveaux, elle détruit à chaque impression nouvelle une partie de la force des idées qui lui résistaient ; nous commençons à la trouver soutenable. Peu à peu les idées contraires disparaissent et sont remplacées par d’autres qui sont susceptibles d’adaptation avec la nouvelle venue et se trouveraient même en contradiction avec toutes celles qui la contrarieraient. Dès lors, l’idée est vraie pour nous ; elle s’est enracinée ; nous ne pouvons plus nous en défaire ;