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cédemment ce passage non moins décisif, également extrait de la critique du jugement : « C’est de la matière brute, c’est sous l’action des forces qu’elle déploie et des lois mécaniques qui la régissent et qui président également à la production des cristaux, que toute l’industrie de la nature {die ganze Technik der Natur) paraît en réalité dériver, bien qu’elle nous soit incompréhensible dans les êtres organisés, et que nous nous croyions forcés de la rattacher chez eux à un principe spécial. » — Au fond, la pensée de Kant est que tout dans la nature se fait mécaniquement ; mais que notre investigation ne peut pénétrer la subtilité infinie du mécanisme naturel, dans la production des organismes. Il n’est pas moins fermement convaincu que le mécanisme n’est que l’instrument de la finalité : seulement cette finalité ne peut être l’objet d’une connaissance scientifique ; et la téléologie ne saurait faire partie de la science physique véritable. «  C’est que nous ne comprenons complétement que ce que nous pouvons nous-même reproduire et réaliser à l’aide des idées que nous nous faisons. » Kant n’admet pas que la physiologie puisse recourir à l’expérimentation, ni atteindre par l’analyse les derniers éléments des organismes, pour les recomposer par la synthèse. Mais il en juge avec les connaissances de son temps. Les progrès de la biologie ont montré que l’expérimentation s’applique aussi aux phénomènes de la vie ; nous commençons à les gouverner, à les reproduire en partie ; et notre science ne désespère pas de pousser beaucoup plus loin ses tentatives et ses découvertes.

Kant est également dominé par les idées de son siècle, lorsqu’il se prononce contre la théorie de la génération spontanée, et soutient que tout organisme vient d’une matière organisée. Il ne condamne pas pour cela à priori, et ne déclare pas absolument vaine toute tentative d’explication mécanique des origines de la vie : c’est une question de fait qu’il laisse aux efforts des observateurs le soin de décider. — Du reste sur l’influence des milieux et de l’hérédité dans la transformation des espèces, il pressent et devance les vues de Darwin : M. Stadler revient ici sur des considérations déjà présentées. Le Darvinisme, bien loin d’être la réfutation définitive de la téléologie Kantienne, ne fait, au contraire, que la rajeunir, qu’en rendre plus vigoureuse la démonstration. Ne tire-t-il pas toutes les modifications, tous les développements des individus et par suite des espèces de la tendance originelle et indestructible qui pousse tout être à se conserver, à se perfectionner ? N’est-ce pas, quoi qu’en disent certains disciples de Darwin, restituer à la finalité ses droits dans l’explication des choses ? — Sans doute Kant trouverait que la part qui lui est ainsi faite n’est pas suffisante : mais, en tout cas, il ne verrait dans la théorie évolutionniste aucune menace pour son principe.

Les conceptions de Kant sur le système des fins, qui a son couronnement et son principe sur la nature dans la suprématie de l’homme en tant que volonté pure, v’est-à-dire en tant qu’être raisonnable, ont encore moins à redouter les progrès de la science. Kant n’a rien de commun