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Th. ribot.durée des actes psychiques

Toutefois ce mode d’expérience offre des difficultés. Chaque impression laisse après elle, dans l’organe, un certain retentissement, une persistance d’action purement physiologique qui dure encore, quand la seconde impression est reçue : en un mot, ce retentissement dure autant que l’intervalle qui sépare les deux impressions simples[1].

Suivant Baxt, la difficulté disparaît, lorsque l’impression principale est composée, au lieu d’être simple. Aussi emploie-t-il pour ses expériences des lettres ou des figures géométriques. En faisant varier plusieurs fois l’intervalle de temps qui sépare l’impression principale de la seconde qui l’efface, on peut par des essais répétés, trouver le maximum d’intervalle nécessaire entre deux excitations pour ne produire cependant qu’une seule perception. Puisqu’une impression momentanée suffit, quand rien ne la suit, pour produire une sensation, on peut supposer que l’intervalle répond à la durée de l’aperception.

Mais le temps ainsi mesuré varie beaucoup et croît avec l’intensité de la seconde excitation. En opérant avec divers degrés d’intensité, Baxt a trouvé que pour percevoir 3 lettres, il fallait un temps qui varie entre 1/40 et 1/18 de seconde. Lorsqu’il employait tour à tour des courbes simples et des courbes compliquées, le rapport des temps était celui de 1 à 5.

Dans ces expériences, les excitations se produisent de telle façon qu’entre elles il n’y a objectivement aucun intervalle. Et cependant subjectivement, nous sentons très-clairement qu’il y a un petit intervalle, pendant lequel aucune des deux excitations n’est perçue nettement. Ainsi tandis qu’il y a continuité entre les causes de nos perceptions, il y a discontinuité dans les effets. Ce caractère de discontinuité que présente le cours de nos états internes vient, comme le fait remarquer M. Wundt, de la nature de l’aperception. Notre attention a besoin d’un certain temps pour passer d’une impression à une autre. Tant que la première dure, tout notre effort tend vers elle ; l’attention n’est pas prédisposée à saisir la seconde au moment même où elle apparaît. Il y a donc un certain instant, durant lequel l’attention diminue pour la première et augmente pour la seconde : c’est cet instant qui nous paraît vide et indéterminé. Étant données deux impressions qui en réalité sont simultanées ou séparées par un très-court intervalle, il n’y a pour nous que trois manières possibles de

  1. D’après Mach, l’intervalle de temps nécessaire pour que deux impressions simples ne se confondent pas, serait :
    Pour l’œil 0,0470 secondes.
    Pour le tact (doigt) 0,0277
    Pour l’oreille 0,0160