Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome I, 1876.djvu/271

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
263
vacherot.antécédents de la philosophie critique

puissance de recevoir ces idées par l’impression que les objets extérieurs feraient sur ses yeux. Il ne serait pas moins absurde d’attribuer à des impressions naturelles et à des caractères innés les connaissances que nous avons de plusieurs vérités, si nous pouvons remarquer en nous-mêmes des facultés propres à nous faire connaître ces vérités avec autant de facilité et de certitude que si elles étaient originairement gravées dans notre âme[1]. »

Descartes avait dit à peu près la même chose dans ses explications, et il semble au premier abord qu’il ne soit pas très-difficile de les mettre d’accord. Mais, en suivant Locke dans son analyse des idées prétendues innées, on voit que, d’accord sur le sens littéral du mot, ils diffèrent profondément quant à la pensée. Ces idées que Descartes, Malebranche, Bossuet, Fénelon déclarent des principes de l’entendement irréductibles à l’expérience, sinon de véritables révélations de la raison divine et universelle, Locke prétend les faire dériver toutes de l’expérience, idées mathématiques, idées morales, idées métaphysiques elles-mêmes. C’est ainsi qu’il explique l’origine des idées de temps, d’espace, d’unité, de substance, de cause, de Dieu, d’infini, de bien, de beau, d’obligation morale, des axiomes et des principes de toutes les sciences, montrant avec une simplicité et une clarté parfaites : 1° que toutes nos idées, étant des actes de l’esprit, ont toujours une date quelconque dans l’histoire de notre pensée ; 2° que nos idées les plus abstraites et les plus générales ne peuvent se former sans l’expérience. Le bon sens de Locke a donc raison contre la doctrine proprement dite des idées innées, d’autant plus qu’il ne fait aucune difficulté d’admettre l’innéité des facultés.

Justice faite dé l’hypothèse des idées innées, Locke aborde le problème de l’origine des idées, avant de s’engager dans leur analyse et leur classification. C’est qu’en effet le problème lui paraît de la plus grande simplicité, du moment que la réfutation de l’hypothèse des idées innées laisse l’esprit humain à l’état de table rase. Quelle peut être alors l’origine de toutes nos connaissances, sinon l’expérience ? « Supposons qu’au commencement l’âme est ce qu’on appelle une table rase, vide de tous caractères, sans aucune idée quelle qu’elle soit ; comment vient-elle à recevoir des idées ? Par quel moyen en acquiert-elle cette prodigieuse quantité que l’imagination de l’homme, toujours agissante et sans bornes, lui présente avec une variété presque infinie ? D’où puise-t-elle tous ces matériaux qui sont comme le fond de tous ses raisonnements et de toutes ses con-

  1. Ibid., l. I, ch. i, parag. 1.