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fique et philosophique consiste, selon Aristote, à extraire de la perception empirique par l’abstraction ce qu’on appelle la notion propre de l’entendement, l’idée, et à en faire le principe de la définition, tandis que, selon Platon, ce procédé consiste à réaliser l’idée et à en composer le monde des existences véritables, en suivant l’ordre dialectique qui n’est autre qu’une méthode de généralisation. En sorte que si l’axiome célèbre : nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu, ne s’est jamais retrouvé dans la lettre, il est certainement dans l’esprit de la doctrine péripatéticienne, et la résume exactement. Cette diversité de doctrine, quant à la question de l’origine des idées, explique toutes les différences qui distinguent les deux philosophies, et comment elles cherchent la vérité, l’une dans la spéculation pure, et l’autre toujours dans l’expérience, servant ainsi de tradition aux grandes écoles anciennes et modernes qui se sont partagé l’empire des esprits depuis Platon et Aristote jusqu’à nos jours.

Les écoles platoniciennes et néoplatoniciennes qui se sont succédé de Platon à Proclus ont reproduit, en l’exagérant plus ou moins, la théorie de la Réminiscence. À mesure que le platonisme se rapproche de l’Orient, son mépris pour l’expérience et la réalité, son goût pour la spéculation enthousiaste, pour le monde des idées pures et des hypostases divines se prononce davantage. La source de toute vraie connaissance, de toute vraie science loin d’être dans la nature, n’est plus même dans l’âme humaine ; elle est en Dieu jusqu’où il faut pénétrer tout d’abord pour la découvrir. D’autre part, la doctrine péripatéticienne de l’expérience, source première de toute idée, de toute notion scientifique, est reprise par les écoles les plus opposées d’ailleurs, quant aux conclusions morales et métaphysiques, par le stoïcisme, par l’épicuréisme, par le pyrrhonisme. Le problème de l’origine des idées y est posé avec d’autant plus de décision, résolu avec d’autant plus de développement que la question par excellence agitée dans la logique de toutes ces écoles, c’est le problème de la certitude. Tout en différant essentiellement sur le criterium de la vérité, Épicure, Zenon et Pyrrhon rejettent l’à priori des platoniciens, les idées pures, et font intervenir l’expérience dans la formation des notions générales dont se compose le domaine de la raison proprement dite, absolument comme l’avait fait Aristote. En sorte que l’on peut affirmer que, pour la question de l’origine des idées, aussi bien que pour toutes les questions capitales de la philosophie, c’est à Platon et à Aristote qu’il faut remonter pour en reconnaître la première tradition.