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temps brumeux, quand l’image d’une montagne s’offre à nous avec une couleur moins vive et des contours moins définis qu’à l’ordinaire, il nous semble que nous la voyons de plus loin, et par conséquent (puisque le volume de l’image est le même que d’ordinaire) d’une hauteur supérieure à celle que nous lui connaissons. Le contraire arrive dans une atmosphère particulièrement claire, quand tous les objets distants paraissent plus près et plus petits qu’à d’autres moments. Lorsque nous n’avons dans notre observation aucun des signes que la théorie suppose, nous ne voyons point la distance qui nous sépare de l’objet ; il en est ainsi dans le cas des corps célestes, de la distance desquels nous n’avons aucune perception, et qui nous paraissent tous pour cela également éloignés de nous. Nous n’avons non plus aucune perception de leur grandeur, si ce n’est que ceux qui produisent une image plus grande dans l’œil paraissent les plus grands, et que tous nous paraissent plus grands quand ils sont plus rapprochés de l’horizon que lorsqu’ils sont parvenus à une plus grande élévation, en partie parce que les images sont moins brillantes, et en partie parce qu’on les voit à travers une multitude d’objets, tandis que, lorsqu’ils sont parvenus à une position plus élevée, nul objet à distance connue n’intervient entre nous et eux[1]. Dans tous ces cas, la différence n’est pas dans nos jugements conscients, mais dans nos perceptions apparentes. Souvent le jugement conscient ne participe pas à l’illusion. L’homme ou l’arbre que nous regardons à travers le télescope est d’un volume et à une distance que l’on peut connaître exactement et que l’on connaît toujours approximativement ; et cette connaissance n’est nullement ébranlée par le nombre de nos observations avec le télescope. Pourtant pour exprimer ce que nous savons être une fausse apparence, nous ne saurions nous servir de termes moins énergiques qu’en disant que nous voyons les choses comme nous savons

  1. Berkeley, disons-le en passant, n’admet pas la présence de ce dernier élément dans notre jugement : le nombre des objets interjacents ; mais c’est certainement un des signes d’après lesquels nous estimons les distances relatives des divers objets terrestres. La raison que donne Berkeley c’est que l’illusion par laquelle la lune, par exemple, nous paraît plus grande quand elle est plus près de l’horizon, se présente aussi bien lorsque les choses interjacentes sont cachées à la vue. Cela n’est pas d’accord avec la propre expérience de l’auteur de cet article, qui a reconnu, après plusieurs épreuves, que la grandeur apparente de la lune à l’horizon diminue beaucoup quand on cache les objets interjacents. Sans doute on ne le ramène pas toujours aux dimensions apparentes de la lune quand elle est à sa plus grande hauteur, mais c’est parce que l’autre cause de l’illusion, la seule reconnue de Berkeley, persiste : à savoir la diminution de l’éclat par la plus grande étendue de l’atmosphère interposée et par la quantité variable de vapeur non-transparente dont elle est chargée.