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analyses. — e. de hartmann. La Religion de l’Avenir

roger l’histoire du développement de l’idée religieuse et l’état présent de la conscience humaine sur les conditions essentielles de cette religion nouvelle, qu’il appelle et qu’il prévoit. Elle devra représenter la synthèse du génie de l’Orient et de celui de l’Occident, concilier le monothéisme sémitique et le panthéisme aryen. Mais surtout, elle réunira tous les éléments que nous avons énumérés précédemment et qui constituent l’essence même de la religion.

Le monisme ou le panthéisme pessimiste, paraît seul à M. de Hartmann satisfaire à toutes ces conditions. « Le panthéisme, disait Henri Heine, est « la religion latente de l’Allemagne ; » il contient aussi les germes d’où sortira la religion de l’avenir. Seul, il enseigne une métaphysique, qui fait au mystère sa part, sans méconnaître les droits imprescriptibles de la science ; seul il permet de fonder une morale autonome et par suite vraiment désintéressée ; seul enfin il porte en lui ce détachement, ce dégoût de la vie, qui inspire le sentiment religieux. Lui aussi, comme le christianisme, promet la rédemption du péché et de la souffrance par l’anéantissement du monde actuel, mais sans tromper l’homme par l’espoir décevant d’un monde meilleur, et sans lui permettre de compter, pour atteindre cette délivrance, que sur l’effort collectif et désintéressé de toutes les volontés individuelles, se sacrifiant au salut de l’humanité et du monde.

C’est dans les derniers chapitres de la Philosophie de l’Inconscient, qu’il faut chercher le complément des brèves indications de l’auteur. On y verra comment M. de Hartmann conçoit que pourra être satisfaite, dans la suite des siècles, l’aspiration suprême au Nirvana, que le panthéisme pessimiste doit développer et rendre toute puissante dans la conscience humaine ; comment toutes les volontés raisonnables sont appelées à préparer par un travail incessant et à réaliser dans une conspiration finale l’anéantissement de l’univers et de la vie à l’aide des puissances destructrices que la science de la nature aura mises à leur disposition. Cette apocalypse du monisme pessimiste n’est certes pas la partie la moins étrange d’une métaphysique, qui ne ménage pas au lecteur français les sujets d’étonnement et même de scandale. Mais nous n’avons ici qu’à signaler ces curieuses et étranges conclusions pratiques d’une philosophie qui, par tant d’autres côtés, nous fait admirer l’originalité, la profondeur, la fécondité de ses principes.

Tel est, en résumé, le livre de M. de Hartmann. Les idées justes et neuves y abondent ; la pensée est toujours nette et décidée, l’expression vive et ingénieuse, même dans sa crudité. On y peut regretter seulement que les jugements soient trop pressés et trop concis, et les affirmations souvent plus fréquentes que les preuves. Ce livre suppose des lecteurs capables de suppléer à l’absence des unes et d’entendre la concision des autres : c’est qu’il est surtout une œuvre de polémique, une sorte de pamphlet, qui s’adresse à un public versé dans les controverses religieuses. Il nous offre, en tout cas, comme l’a très-bien dit M. Maurice Vernes (Revue littéraire du 20 mars 1875), un très-curieux