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des vérités nombreuses et fécondes qui se trouvent dans les écrits des grands philosophes. Pour n’être pas sceptique on n’est pas obligé d’être un pédant ni un fanatique. — 3o Nous n’admettons pas non plus un autre reproche trop fréquemment articulé par la critique chez nos voisins, à propos de ces écrits, celui de parler un langage trop orné, le beau langage (Schönrednerei). Nous trouvons qu’on en abuse à l’égard de ces écrivains. Il faut s’entendre. Sans doute, il y a ici des abus et des défauts à éviter. Mais d’abord, nous l’avons dit, il faut, pour réussir dans cette entreprise, ménager les esprits que l’on veut gagner et intéresser à la science, les séduire même si l’on peut. Savoir écrire, pour se faire lire, est la condition préalable ; l’art de bien dire n’est nulle part un défaut. Dans une science comme celle-ci, la science du beau, posséder cet art, joindre aux qualités du penseur celles de l’écrivain, est pour le moins désirable. Il n’est pas défendu de savoir s’exprimer d’une façon poétique ou éloquente, d’avoir un beau style. Les véritables esthéticiens le savent. Platon, Aristote, Plotin, Schiller, Schelling, sont, surtout quand ils traitent ces matières, de grands écrivains. Hegel lui-même paraît l’avoir compris, et ses disciples, en ce point, auraient dû davantage l’imiter. Mais nous aurions là-dessus trop à dire. Ajoutons que ceux qui font ces reproches ne brillent pas toujours par les qualités qu’ils ne voudraient pas voir aux autres ; ce qui rappelle un peu trop la fable.

Pour ne pas nous borner à ces réflexions, nous choisirons pour exemple le plus considérable de ces ouvrages, qui a paru dans ces derniers temps, celui de M. Moritz Carrière : « L’art dans son rapport avec le développement de la civilisation[1]. » Au fond, c’est le sujet traité dans la deuxième partie de l’esthétique de Hegel. L’auteur le reprend et lui donne des proportions beaucoup plus étendues. Il suit le développement de l’art à toutes les époques et dans toutes ses phases ; il montre son rapport avec les autres éléments de la civilisation, son influence sur la culture des idées et des mœurs, son lien avec la religion, la science, la philosophie, la politique, etc. Son livre est, comme il le dit (Introd., t. I), une sorte de philosophie de l’art. De pareils écrits, quand ils ne sont pas l’œuvre d’un penseur original, sont sans doute fort utiles, comme nous l’avons dit, pour populariser les résultats de la science. Ils ont le mérite d’élever le niveau des intelligences à la hauteur des questions nouvelles. Et quoi de plus propre que l’art envisagé dans l’en-

  1. Die Kunst im Zusammenhang der Kulturentwickelung und die Ideale der Menschheit. Leipsig, 1863-71.