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qui le prouve, c’est que tous ceux qui depuis l’ont critiqué et en ont signalé les côtés faibles (Vischer, Lotze, Schasler) non-seulement ont cru devoir discuter sa théorie, mais l’ont en partie adoptée dans sa base et ses conséquences.

Un autre problème plus général et d’un non moindre intérêt, est celui du laid. Weisse lui avait déjà consacré aussi un chapitre important ; il devient à son tour l’objet d’une étude spéciale et approfondie. Son apparition sous sa forme propre marque, selon nous, dans la science du beau, un de ses réels progrès. Sans doute le laid, dans son opposition avec le beau, n’avait pu manquer de fixer l’attention des esthéticiens antérieurs. Il en est ici comme du vrai et du faux, du bien et du mal, du juste et de l’injuste, où l’affirmation et la négation s’appellent nécessairement et se suivent. Mais par là même que l’un des deux termes semble déterminé par l’autre, on peut croire qu’il n’a pas besoin d’une étude spéciale ni d’une solution particulière. C’est une erreur ; car cette opposition elle-même est un problème capital et difficile ; c’est une antinomie véritable, qu’il faut savoir résoudre. Déjà, on l’avait pu voir clairement pour les romantiques. L’esthétique hégélienne a au moins le mérite incontestable de l’avoir fait comprendre. Ici, en effet, le problème change de face et prend une importance toute nouvelle. On conçoit que dans un système qui proclame l’identité des contraires, où la négation et l’affirmation se supposent et s’identifient, le laid qui, dans la science du beau, forme un des deux termes de cette identité, ait un intérêt et un sens qu’il n’avait pas eus jusqu’alors. Non-seulement le problème se pose sous sa forme abstraite et métaphysique, mais il reparaît à tous les degrés du beau et sous toutes les formes de son développement, dans la nature, dans l’art, dans les différents arts et dans leurs espèces ou leurs modes les plus variés. Il entre comme élément dans le sublime et dans le comique, etc. Partout et toujours les deux termes s’accompagnent, le terme inférieur s’absorbant dans le terme supérieur d’abord comme stimulant (stimulus) de l’idée, et comme l’idée elle-même qui s’opposant à elle-même se surmonte, se transforme, et, dans la forme supérieure où elle se transfigure, acquiert sa véritable existence. Le comment de cette transformation, à chaque pas, doit être cherché et dévoilé. Le montrer est l’office de la dialectique. La science doit donc consacrer à cette idée et à ses formes un examen particulier. C’est ce qu’a entrepris un des disciples les plus distingués de Hegel, M. Karl Rosenkranz, déjà connu par d’autres publications importantes, qui toutes témoignent de son talent et des qualités remarquables de son esprit comme penseur et comme écrivain. Son livre, L’Esthétique du laid, est une œuvre qui offre un vif