Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome I, 1876.djvu/134

Cette page a été validée par deux contributeurs.

plus haut intérêt ont été exécutés et publiés en dehors de l’enceinte des écoles ; les uns traitent des points particuliers, les autres embrassent la science entière. D’autres nous font connaître son histoire ; ils montrent le parti qu’on peut tirer des solutions antérieures données à tous ces problèmes par les esprits supérieurs qui les ont agités.

Il n’est pas, pour nous, sans intérêt ni sans utilité de connaître ces travaux. Chez nous, il faut l’avouer, cette science a été négligée. Nous ne possédons que fort peu d’ouvrages sérieux où ces problèmes aient été abordés directement et pour eux-mêmes, dans un intérêt vraiment scientifique et philosophique. Nous croyons l’avoir démontré ailleurs[1] ; ce n’est presque toujours qu’en passant et accidentellement qu’ils ont été traités et le plus souvent pour un but étranger à la science elle-même, moral, social, politique ou religieux. Le moment est venu, à notre avis, de les étudier nous-mêmes sérieusement, comme ils le méritent, avec les qualités propres de notre esprit ; et certes, en pareille matière, ces qualités ne sont pas à dédaigner. Elles peuvent contribuer à faire avancer cette science aussi bien qu’à en propager les résultats ; elles sont très-propres à la corriger des défauts qu’il est facile de reconnaître dans les productions les plus élevées et les œuvres les plus savantes de la pensée allemande. Mais la condition première, quand on entreprend soi-même une pareille étude, c’est de se mettre au niveau de la science au point où elle est parvenue ; sans cela, on s’expose à refaire, et souvent plus mal, ce qui a été fait, et, au lieu de marcher en avant, à rester en arrière. En tout cas, on se prive des services les plus précieux que nous offre l’héritage des plus grands esprits. Pour continuer avec succès leurs efforts dans la voie qu’ils ont parcourue, y a-t-il un autre moyen que de se placer au point même où ils se sont arrêtés ? Le talent le plus original, l’intelligence la plus puissante ne peuvent se mettre au-dessus de cette condition. Pour la médiocrité, le danger est plus grand encore. C’est non-seulement d’accuser son infériorité par des redites banales ou des essais sans portée, mais lorsqu’elle paraît sortir des vieilles ornières, d’ajouter le ridicule de se croire original quand on ne fait guère que copier et imiter à son insu les théories les plus récentes.

Pénétré dès longtemps de ces idées, nous avons voulu, pour notre part et selon nos moyens, contribuer à rendre ce service à nos compatriotes de leur faire connaître quelques-uns des travaux les plus importants que possède l’Allemagne sur l’esthétique et la philosophie

  1. Dans un article publié par la Revue politique et littéraire (13 mars 1875) sous ce titre : l’Esthétique dans la philosophie française.