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ANALYSES. — VITRY. Abbozo di Sociologia.

stable, et cet édifice d’opinions sur lequel repose l’accord des volontés ne tarde pas à se dissoudre, jusqu’à ce qu’il s’affaisse pour faire place à des constructions nouvelles. C’est alors que s’ouvre une des phases critiques de l’histoire. La loi de continuité n’est pas infirmée par leur apparition ; car la reconstitution de la société sur un type supérieur n’est possible que par une dissolution lente, partielle, progressive du système suranné. C’est pour cette raison que l’individu est si peu de chose dans les grands mouvements sociaux. Son action est, pour ainsi dire, noyée au milieu des influences invisibles, innombrables, et, pour la plupart, de beaucoup antérieures à sa naissance qui l’enveloppent de tous côtés : « enchaîné par des liens étroits aux générations passées et à la génération présente, chacun de nous est obligé de suivre la direction commune et de mesurer son pas sur le pas d’autrui. »

Les deux lois darwiniennes de concurrence et de sélection s’ajoutent d’après M. Guarin de Vitry aux lois de filiation et de corrélation organique. Comme les espèces vivantes depuis leur apparition sur le globe, les peuples se sont développés avec des chances diverses, les uns plus, les autres moins, les uns rapidement, les autres lentement, suivant qu’ils étaient plus ou moins favorisés par ces deux causes générales d’où dépendent la direction et la rapidité de toute évolution, comme aussi les limites qui la bornent, à savoir : 1o les aptitudes héréditaires, 2o les influences du milieu. Les uns, encore attardés dans des phases inférieures, rappellent par leur structure imparfaite l’organisation confuse et en quelque sorte informe des radiaires et des mollusques ; d’autres nous apparaissent comme constitués de pièces juxtaposées plutôt que d’organes solidaires ; ils sont semblables aux articulés ; quant aux sociétés supérieures, elles manifesteront une organisation centralisée comme celle des vertébrés. Les plus parfaites ont traversé nécessairement les phases inférieures ; mais les moins parfaites n’atteindront pas toutes leur complet achèvement. Plusieurs en effet, et c’est un phénomène ordinaire, s’arrêtent en chemin, sont dépassées par leurs voisines et finalement étouffées dans la lutte pour l’existence. Cependant un moment viendra où entre les plus civilisées des nations un accord volontaire se produira. Elles feront trêve à la concurrence armée comme l’ont fait successivement les habitants d’une même bourgade, les villes d’une même province, les provinces d’une même nation, les états d’un même empire. Seules, les peuplades barbares, exclues de cet accord, devront ou se subordonner aux races supérieures, ou périr. Et alors l’humanité, demeurée jusqu’ici à l’état purement virtuel, apparaîtra dans son unité ; non qu’elle doive absorber en elle les différences individuelles : l’unité sera celle d’un concert. L’organisme ainsi constitué surpassera d’un degré l’organisme social simple. « Celui-ci en effet est composé d’individus ou de groupes d’individus : l’humanité, elle, sera composée d’organismes sociaux et par conséquent constituera un être collectif composé d’êtres collectifs » (p. 30).

On le voit, l’auteur revient ici à ses prédictions sur l’état futur de