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car dans le reste il cherche à modifier les idées d’Auguste Comte et s’en émancipe jusqu’à embrasser les principes de criticisme scientifique ou pour mieux dire de la vraie science positive, libre de toute conception et abstraction mystique.

Avant de toucher au contenu du livre de M. Lessewitsch, nous jugeons nécessaire de donner un aperçu rapide de ce peu de philosophie originale qu’on pourrait signaler comme les germes d’une école nationale en Russie. Les penseurs vraiment nationaux devaient fatalement porter l’empreinte du caractère byzantin théologique ; aussi n’est-il point étonnant de trouver que les trois penseurs originaux de la Russie moderne, Ivan Kiréïewsky, Alexis Khomiakoff et Michel Pogodine, sont des croyants fervents et des fils dociles de l’Église orthodoxe. Versés dans les doctrines de Schelling et Hegel, ils jugeaient avec un certain dédain la science occidentale, et avaient la conviction que la Russie devait un jour trouver une autre science, plus adaptée à sa vocation. Ils étaient des patriotes avant tout, et on ne peut attaquer leur caractère personnel, surtout celui de Kiréïewsky, qui était estimé comme esprit élevé et indépendant, et homme sans reproche même par ses adversaires ; mais leurs ouvrages philosophiques trahissent le caractère d’une doctrine trop étroite et individuelle. C’étaient les coryphées du parti dit « Slavophile » ou « Panslaviste. On ne peut obier les services qu’ils ont rendus au réveil du sentiment national, mais le désir d’introduire la nationalité dans le domaine de la science ne saurait être approuvé, Kiréïewsky a exposé ses idées dans deux ouvrages —. 1° Du caractère de la civilisation en Europe et de son rapport à la civilisation en Russie ; 2° De la nécessité et de la possibilité des nouveaux principes en philosophie. Selon l’auteur la civilisation européenne aboutit à une impasse, grâce à son individualisme, son rationalisme et sa tendance vers la dissolution sceptique ; c’est à la Russie de ramener l’humanité par la foi à la totalité de la jouissance de toutes les facultés humaines, à la synthèse cherchée vainement par la philosophie. Alexis Khomianoff, outre quelques écrits où il donne des preuves de son érudition, passa toute sa vie dans une polémique fiévreuse. La discussion était son élément. Partout, dans les salons aristocratiques, au milieu d’un bal, ainsi qu’à la fin de la messe, au portail de la cathédrale, il était là, discutant ou simplement disputant des subtilités philosophiques et théologiques. Michel Pogodine, ancien professeur d’histoire à l’université de Moscou, publia, quelques années avant sa mort, un recueil de ses idées philosophiques sous l’étrange titre : Paroles simples sur des sujets profonds. C’est un mélange très-bizarre d’idées parfois grotesques, tantôt hardies, écrit dans un style vulgaire, ultra-démocratique, adapté à l’homme du peuple. Son livre a fait fureur et a eu cinq ou six éditions.

À côté de ce groupe de penseurs originaux nous devons rappeler quelques noms de penseurs qui avaient une influence sur le progrès intellectuel en Russie, quoiqu’ils n’aspirassent guère à se poser en phi-