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Telle n’est pas la disposition d’esprit qu’il faut souhaiter à un historien.

Il est impossible, et il serait inutile de résumer un livre qui est déjà un résumé, très-succinct et très-nourri, de faits connus. Deux exemples, empruntés l’un à la « Philosophie théorique », l’autre à la « Philosophie pratique » (c’est la division adoptée par l’auteur), et choisis parmi les questions qui paraissent les plus chères à M. Flügel, feront comprendre sa manière.

La première est la question de la Possibilité du Changement. Elle peut se poser ainsi qu’il suit : Comment des qualités diverses peuventelles se succéder en un même être ? Herbart répond à l’aide d’un trilemme. La succession de diverses qualités en un même être :

1° Ou bien n’a pas de cause ;

2° Ou bien a une cause intérieure à cet être ;

3° Ou bien a une cause extérieure à cet être.

La première hypothèse est la théorie du devenir absolu ; dans ce système, une réalité peut changer sans qu’il y ait à ce changement une cause ; une nouveauté, apparaître sans antécédent, sans équivalent antérieur. Ce qui est absurde : car d’une part, s’il y a devenir absolu, il faut que la réalité soumise à ce devenir subisse un changement total, qu’elle cesse de fond en comble d’être elle-même, qu’elle s’anéantisse, pour renaître, mais tout autre qu’auparavant ; d’autre part, pour que ce soit une seule et même réalité qui devienne, et non une réalité qui se substitue à une autre, il faut qu’il n’y ait pas changement total, qu’il y ait un lien entre les deux moments, que « le présent soit chargé du passé. » Ainsi il faut que ce qui devient soit et ne soit pas. — L’histoire confirme cette critique. Héraclite, le premier philosophe du devenir absolu, reconnaissait cette contradiction inhérente à son système : chaque chose, disait-il, est et n’est pas, tout à la fois, παντὰ καὶ ἀεὶ εἶναι, καὶ μὴ εἶναι. Kant chasse le devenir absolu du monde des phénomènes : là règne la Nécessité, qui enchaîne le présent au passé ; mais —il le rétablit dans le monde des Noumènes : ici la catégorie de la causalité ne s’applique pas ; le caractère absolu de l’homme, par exemple, se détermine librement, c’est-à-dire sans cause. Mais ce moi-noumène est-il la cause des actes du moi-phénomène ? S’il ne l’est pas, à quoi bon l’intervention du Noumène ; et s’il Test ;, la série des phénomènes troublée par ces interventions sans cause, peut-elle être encore appelée régulière, soumise aux lois ? Kant ne se décide pas, recule devant cette contradiction : mais elle est essentielle au système.

M. Flügel ici paraît oublier que le lien entre le phénomène et le noumène ne saurait être, pour Kant, de l’ordre de l’un ou de l’autre : ce lien n’est donc ni un lien de causalité nécessitante, ni une action fortuite. Il est d’un ordre intermédiaire : c’est un rapport de finalité. La Critique du Jugement fait le passage entre les deux autres Critiques.

Fichte exagère la doctrine de Kant : ce n’est plus seulement le caractère, la volonté, qui se produit elle-même, par un devenir absolu ; c’est le moi absolu tout entier. Aussi chez lui la production du moi phé-