Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/643

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
633
ANALYSES. — fabre.Histoire de la Philosophie.

plétement omis par les auteurs : aussi M. Fouillée, dans son Histoire de la philosophie, ne cite pas même Philon, lui qui a eu le premier l’idée de la Trinité et du Verbe divin, lui qui à l’apologie de la foi a ajouté la théorie de la grâce, lui qui s’est élevé à la conception d’une Église universelle, lui qui enfin a été aussi bien le précurseur des philosophes d’Alexandrie que des Pères de l’Église. {{|M.|Fabre}}, en insistant comme il le fait, sur les écoles juives, jette une vive lumière sur les premiers siècles de notre ère et rend beaucoup plus facile à saisir le développement dogmatique du christianisme.

Son chapitre sur la philosophie chrétienne est, à notre avis, le meilleur de tout le volume : c’est un petit chef-d’œuvre de méthode et de clarté. Rien n’y est de trop et tout ce qu’il est essentiel de connaître y est résumé avec bonheur et déduit avec force. Aucun des grands noms de l’histoire n’a été oublié : mais c’est aux doctrines de saint Paul et surtout de saint Augustin qu’il s’attache de préférence. Pris d’une grande sympathie et d’une vive admiration pour les apologistes et les. docteurs des premiers siècles, il n’en conserve pas moins vis-à-vis d’eux toute l’indépendance de son jugement. Il montre surtout très-bien quelle immense et funeste portée a eue le triomphe du dogme du péché originel avec ses corollaires forcés : la théorie de la grâce et celle de la prédestination. Peu à peu le christianisme devait être amené à mépriser la philosophie et la raison, à ouvrir la porte de l’arbitraire en morale, à justifier l’intolérance, à ne voir dans la liberté humaine qu’un moyen non un but, à admettre le privilège dans l’ordre politique comme dans l’ordre théologique. Mais n’est-ce pas plus ou moins le fait de toutes les religions ? C’est qu’il est de leur essence de reposer sur l’amour qui n’offrira jamais à la morale qu’un fondement ruineux.

M. Fabre, tout en s’attaquant avec fermeté aux excès des diverses grandes religions historiques, est trop porté, croyons-nous, à exalter le principe même d’où, ils découlent. « Il y a, dit l’auteur à propos des ascètes, des choses que la raison désavoue et qui pourtant sont plus grandes que celles que la raison fait faire : sans songer à les imiter, il faut les admirer. » Eh bien, non ! Ce qui est déraisonnable ne saurait être admirable. La guerre à la nature humaine, le mépris de la raison, la dureté pour soi-même et pour les autres sont des aberrations de Derviches et non des marques de grandeur d’âme. La vraie grandeur est, selon la belle définition des stoïciens, la force qui combat pour l’équité ; ajoutons que l’équité comprend aussi l’amour, tandis que l’inverse n’est pas vrai. D’ailleurs, bien qu’un peu enclin à exalter outre mesure les inspirations du cœur, M. Fabre est loin de méconnaître la grandeur de la morale du droit : « La charité qui pardonne, dit-il, se retourne contre elle-même et fait plus de mal que de bien, quand sa mansuétude est la consécration et l’encouragement d’abus et de violences dont tous pâtissent. Le moyen-âge, où l’on implorait des grâces, fut une triste époque. L’âge moderne vaut mieux, parce qu’on y revendique des droits. Meilleur que le moyen-âge et l’âge moderne