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ANALYSES. — naville.Julien l’apostat et sa Philosophie.

n’est pas une vertu aussi exclusivement chrétienne que parait le croire M. Naville : les païens avaient depuis longtemps organisé toutes sortes de secours pour les malades, les nécessiteux et les étrangers : le beau livre de M. Havet sur les Origines du christianisme contient de nombreux renseignements à ce sujet. Mais il est vrai de dire que les chrétiens mirent la charité plus particulièrement en honneur. Afin de les combattre sur ce terrain et aussi pour revenir aux traditions de Marc-Aurèle, que Julien s’était proposé pour modèle, il voulait que l’Hellène apprît à répandre sa libéralité sur les étrangers, sur les malfaiteurs emprisonnés, sur ses ennemis : les prêtres de la religion hellénique étaient invités à fonder des hospices destinés à recevoir les étrangers de toute religion, même les Galiléens ! Enfin, si l’on s’en rapporte à saint Grégoire de Naziance, « il se proposait d’établir des écoles dans toutes les villes, des chaires, des lectures sur les doctrines grecques, et des explications de nature soit à former les mœurs, soit à faire comprendre les choses mystérieuses ; il avait l’intention d’introduire des prières avec réponses, des réprimandes graduées pour les pécheurs, toutes choses qui sont évidemment empruntées à notre organisation. Il voulait encore fonder des refuges et des hospices, des monastères, des maisons pour les vierges, des maisons de recueillement ; il voulait établir la bonté envers les nécessiteux. »

Julien s’était mis courageusement à l’œuvre : il s’en faut que le zèle de ses sujets ait été à la hauteur du sien ; il eut bien des déboires à subir, sans jamais cependant connaître le découragement. Le plus souvent on se refusait à faire le moindre don pour les sacrifices ; ainsi dans le temple de Daphné, près de l’opulente ville d’Antioche, le grand prêtre ne peut sacrifier devant Julien qu’une oie qu’il a dû apporter de chez lui. Sans doute, et surtout chez les soldats, il y avait de nombreuses conversions, mais elles étaient bien plus inspirées par le désir de s’attirer les bonnes grâces du prince que par la piété envers les dieux : l’empereur n’était pas dupe du sentiment qui les dictait. Cependant, bien que l’hellénisme ne progressât pas au gré de ses désirs, il écrivait : « Ce que les dieux nous accordent est grand et beau, supérieur à tout ce que nous pouvions demander et espérer : car qui aurait osé d’avance se promettre un changement si considérable en si peu de temps ! » De son côté, saint Cyrille avoue que Julien « par ses trois livres contre les saints évangiles et le vénérable culte des chrétiens, en a ébranlé un grand nombre et fait beaucoup de mal. » Mais cette œuvre devait être bientôt interrompue par la mort : Julien n’avait pas encore régné deux ans, lorsqu’il succomba. Il mourut en sage, comme il avait vécu, en dissertant sur l’immortalité de l’âme.

S’il lui avait été donné de régner plus longtemps, aurait-il mieux réussi ? Il est permis d’en douter, on peut même se prononcer nettement pour la négative. Cette tentative, pour avoir quelques chances de succès, aurait dû se produire un siècle ou deux plus tôt, et être conduite autrement. Depuis les emprunts faits à la philosophie alexan-