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d’éprouver et de produire des changements. Aurez-vous recours alors pour l’explication des phénomènes, à une cause extérieure qui, tantôt empêche d’agir, tantôt détermine à l’action ? Cette cause, comme nous l’avons déjà prouvé, rentrerait dans la catégorie des êtres changeants, et c’est précisément ce qu’il ne faut pas. Il faut, au contraire, une substance qui, tout en étant la condition des changements, soit exempte elle-même de tout changement, et par conséquent ne soit point une cause. Encore une fois cette substance n’est autre que l’espace.

Admettez, en effet, la réalité de l’espace, et toutes les difficultés se dénouent comme par enchantement. Les êtres changeants, puisqu’ils n’étaient pas primitivement contigus, étaient à des distances plus ou moins considérables les uns des autres. Mais, comme il ne peut y avoir d’action à distance (principe évident de soi-même), ces êtres se sont rapprochés, ont fini par se rencontrer, et c’est à partir du moment où ils se sont rencontrés qu’ils ont éprouvé des changements dans les directions et les quantités de leurs mouvements. Le changement de rapports dont nous parlions tout à l’heure n’était autre qu’un changement continu de distances.

Il résulte de tout ce qui précède que l’espace est une réalité, et non pas un simple produit de l’imagination ; que les êtres changeants sont doués de mouvement, et que les qualités transmissibles qu’ils possèdent consistent dans le mouvement. Ajoutons que ces êtres sont réellement étendus, car autrement ils ne se rencontreraient jamais, ou, s’ils venaient à se rencontrer, ne pourraient se faire obstacle et par conséquent modifier leurs mouvements réciproques ; qu’ils sont indivisibles, car il faut toujours en arriver à des êtres simples, et ce sont ces êtres que je cherche ; qu’ils sont impénétrables, car autrement ils ne pourraient encore ici se faire obstacle ; qu’ils sont, en un mot, de véritables atomes.

Quant à la notion que nous avons de l’espace nous pouvons la compléter en quelques mots en ayant égard aux considérations qui précèdent :

Ces changements successifs dont le monde est le siège doivent cesser d’exister. Il viendra donc un moment où les atomes n’éprouveront plus de changement ni dans les directions, ni dans les quantités de leurs mouvements. Or, pour qu’à partir d’un moment donné, les atomes se dirigent dans le même sens et avec la même vitesse pendant l’éternité du temps, il ne faut pas moins que l’immensité de l’espace.

L’espace est donc immense. Ajoutons qu’il est pénétrable, puisqu’il se laisse croiser par les corps, dans tous les sens ; qu’il est indivisible, car s’il était composé de parties réelles, il ne serait pas infini ; qu’il est