Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

outre la pesanteur, une autre cause de mouvement, de laquelle nous est venue à nous-mêmes cette puissance qui nous est innée : car de rien nous voyons que rien ne peut sortir[1]. »

Il existe donc en définitive d’après Épicure (et le témoignage de Cicéron pourrait ici confirmer celui de Lucrèce), trois causes de mouvement de plus en plus profondes et intimes : le choc, qui est à la fois extérieur et fatal ; la pesanteur, qui est intérieure mais paraît encore fatale, et enfin la volonté, qui est tout à la fois intérieure et libre, libera voluntas[2]. Cette volonté se manifeste par le pouvoir de faire décliner le mouvement, de lui faire quitter la ligne droite où la fatalité le poussait ; c’est en un mot le pouvoir de s’incliner soi-même au mouvement, pouvoir qui, dans les germes éternels des choses, sera la déclinaison spontanée, échappant à toute prédétermination de temps ou de lieu. « La pesanteur empêche déjà que tout ne se fasse par choc comme par une force externe : mais, que l’âme elle-même n’ait point en soi une nécessité intestine, dans toutes les actions à accomplir, et que, vaincue, elle ne soit pas contrainte de tout subir et de rester passive, voilà ce qu’empêche l’imperceptible déclinaison des principes de toutes choses, dont on ne peut par le calcul (ratione) déterminer le lieu ni déterminer le temps[3]. »

Revenons maintenant de la psychologie à la cosmologie. À l’origine idéale des choses, nous le savons, l’atome descendait dans le vide en vertu de sa pesanteur ; non loin de lui d’autres atomes descendaient, également solitaires, et si la nécessité seule avait continué d’imprimer aux atomes ce mouvement éternellement le même, le

  1. Lucr., 284.
    Quare in seminibus quoque idem fateare necesse est,
    Esse aliam, præter plagas et pondera, causam
    Motibus, unde hæc est nobis innata potestas :
    De nihilo quoniam fieri nil posse videmus.
  2. Ibid., II, 256.
  3. Ibid., II, 290
    Pondus enim prohibet ne plagis omnia fiant,
    Externâ quasi vi ; sed ne mens ipsa necessum
    Intestinum habeat cunctis in rebus agendis,
    Et devicta quasi cogatur ferre patique,
    Id facit exiguum clinamen principiorum
    Nec ratione loci certâ, neo tempore certo.

    Cicéron, entièrement d’accord avec Lucrèce, dit également : « Épicure pense que, par la déclinaison de l’atome, la nécessité du destin est évitée : une troisième sorte de mouvement naît donc, en dehors du poids et du choc, lorsque l’atome décline d’un très-petit intervalle : Epicurus declinatione atomi vitari fati necessitatem putat : itaque tertius quidam motus oritur extra pondus et plagam quum déclinat atomus intervallo minimo, id appellat ἐλάχιστον. » De fato. X.