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peuvent être anéantis. Toute création et toute destruction sont donc impossibles.

D’après ce qui précède, il serait facile de prouver que, dans chaque substance, il y a quelque chose d’éternel et d’immuable, il y a quelque chose qui constitue l’essence même de cette substance : ce sont les attributs essentiels ou intransmissibles. Mais puisqu’il y a des changements, il y a aussi dans chaque substance quelque chose d’accessoire, quoique inhérent à cette substance : ce sont les propriétés accessoires ou transmissïbles. Produire, ce n’est pas autre chose que transmettre en totalité ou en partie une propriété accessoire que l’on possède.

Jusqu’à présent, tout a été simple, clair, dans la série des arguments que nous avons exposés. Mais nous allons entrer ici dans des considérations nouvelles qui offriront quelque difficulté, et sur lesquelles nous appelons plus particulièrement l’attention.

Les changements ont commencé, avons-nous dit. Ici le lecteur a dû mentalement nous adresser une objection ; et si nous n’avons pas tout d’abord essayé d’y répondre, c’est que nous savions qu’elle reviendrait par la force même des choses : Pour quelle raison les êtres qui primitivement ne changeaient pas, ont-ils changé à partir d’un moment déterminé ? Telle est, en peu de mots, cette objection ; et il faut avouer qu’elle constitue contre le changement une difficulté bien autrement sérieuse que l’argument des Eléates dont nous avons déjà parlé.

Pour dénouer cette difficulté, il nous faut d’abord montrer la profonde différence qui existe entre les quantités continues et les quantités discontinues. Les quantités discontinues sont divisibles, et même actuellement divisées ; les quantités continues au contraire sont réellement indivisibles, je puis les diviser sans doute, mais idéalement, non réellement.

Prenons un exemple : il a été question du temps, tout à l’heure. Or le temps, je puis bien le diviser par l’imagination, en parties plus ou moins grandes, plus ou moins petites, selon ma fantaisie. Mais ces parties seront purement subjectives et parfaitement arbitraires. Le temps ne tombe donc pas sous la loi du nombre et de la succession. Par conséquent, si quelqu’un venait me dire que le temps est une chimère, sous prétexte qu’il est divisible, je lui répondrais que les difficultés qu’il soulève sont comme les divisions elles-mêmes qu’il suppose, imaginaires, et non pas réelles.

Revenons maintenant à notre sujet. Lorsque nous avons dit tout à l’heure que les changements ont commencé dans le monde, nous avons voulu dire par là qu’à partir d’un moment déterminé chacun