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béraud.le moi comme principe de la philosophie

cesse des changements dans mon existence, je puis simplifier les données de notre problème. Au lieu de dire, par exemple : « J’existe et je change sans cesse, » je dirai : « Il y a de l’être et des changements dans l’être. » Peu importe en effet, quant à présent, que l’être soit moi ou toute autre chose que moi.

Il me reste à faire l’application des principes établis, et à chercher quelle est la nature de l’être.

II

La première conséquence qui se déduit de ces principes, c’est la réalité de la durée. Cette durée, je n’ai besoin de faire aucun raisonnement pour savoir qu’elle existe ; je la perçois par la conscience comme je perçois tous les phénomènes psychologiques dont elle est la condition. Aussi n’aurais-je jamais songé à l’établir par aucun argument, si je n’avais su qu’il est des systèmes qui la nient. C’est contre ces systèmes que je vais essayer de prouver son existence.

Il y a de l’être, ai-je dit, et des changements dans l’être ; en d’autres termes, l’être passe par une série de modes successifs non identiques les uns aux autres. Nier la succession, et par conséquent la durée, ce serait prétendre que tous ces modes si différents les uns des autres sont simultanés ; ce serait soutenir que, dans un même objet, la même chose est à la fois et n’est pas.

Prenons des exemples pour mettre ce raisonnement en évidence : j’éprouve à l’heure qu’il est une émotion de joie et d’espérance. Tout à l’heure, au contraire, j’éprouvais un sentiment de tristesse et de découragement. Eh bien, nier la durée et la succession, c’est admettre que je suis à la fois et sous le même rapport, sous l’influence de la joie et de la tristesse, du découragement et de l’espérance. Autre exemple : voici un corps qui tout à l’heure se dirigeait à droite et qui maintenant se dirige à gauche. Nier la succession et la durée, c’est soutenir que ce corps se dirige à la fois à droite et à gauche ; c’est poser en principe l’identité des contradictoires ; c’est renverser toute vérité et toute logique. Si l’on ne veut pas tomber dans de pareilles absurdités, il faut donc admettre la réalité de la durée.

La durée est-elle éternelle ? Pour résoudre cette question, il nous faut ici avoir recours à un principe aujourd’hui presque universellement adopté, que nous allons néanmoins essayer d’établir en quelques mots : c’est le principe de l’impossibilité du nombre actuellement infini.