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béraud.le moi comme principe de la philosophie

Comment pourrai-je savoir si le changement me fera découvrir ce que la pensée seule ne pouvait me faire découvrir ? Comment, par cette idée du changement, pourrai-je briser les liens qui m’enchaînent, et m’ouvrir une porte sur le monde extérieur ?

Pour cela il mie suffit de remarquer que le changement n’est rien par lui-même, c’est-à-dire si l’on fait abstraction de ses conditions et de ses rapports. Il n’y a pas de changement sans un être qui change et une cause qui le fasse changer.

Maintenant, connaissons-nous en lui-même le changement, d’une connaissance totale, adéquate ? — Ce qu’il y a de certain c’est je connais au moins la pensée sous sa forme consciente ou psychologique, et par conséquent je connais les changements qui lui correspondent. Par l’abstraction, de la connaissance de ces changements particuliers, je m’élève à la connaissance des changements en général, et je dis : changer, c’est passer d’une forme de l’existence à une autre forme.

Mais, puisque le changement n’existe que par ses conditions et ses rapports, je puis donc déterminer d’une manière générale ses rapports et ses conditions immédiates, puis les conditions de ces conditions, les rapports de ces rapports, et ainsi de suite jusqu’aux conditions premières, jusqu’aux principes généraux de tous les êtres qui changent. Une fois arrivé à ces principes, par l’analyse j’en tire toutes les conséquences qui peuvent s’en déduire, lesquelles, si je ne commets aucune faute de raisonnement ou de logique, doivent exprimer les phénomènes généraux et les lois générales du monde changeant.

Voici que de nouvelles difficultés viennent encore m’assaillir. Certains philosophes me feront, à propos du changement, des objections qui paraissent d’autant plus redoutables qu’elles n’ont pas encore trouvé de réponse sérieuse. Comment, me dira-t-on, avez-vous pu choisir pour fondement de la métaphysique, avec l’existence personnelle, un phénomène aussi instable, aussi mobile que le changement ? Ne voyez-vous pas que l’édifice que vous prétendez bâtir sur une base aussi peu solide, ne sera pas plus durable qu’une maison bâtie sur le sable ? Vous croyez que l’être qui change est un être réel, une base sur laquelle, avec l’aide du principe d’identité ou de contradiction, vous puissiez édifier quelque chose. Détrompez-vous : changer, c’est n’être pas actuellement ceci ou cela, et par conséquent c’est être identique au néant. Une chose qui change n’est plus ce qu’elle était, autrement il n’y aurait pas eu de changement ; elle n’est pas non plus ce à quoi elle tend, car il n’y aurait pas besoin de changement. Elle n’est donc rien ? Après cela, voici