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LE MOI ET SES CHANGEMENTS

CONSIDÉRÉS COMME
PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE


I

Kant nous a appris que toutes nos connaissances sont subjectives, que nous ne pouvons rien affirmer des objets extérieurs, si ce n’est la manière dont nous les voyons.

Depuis la Critique de la raison pure, la philosophie, malgré de nombreux efforts, est restée emprisonnée dans le subjectif. Y a-t-il cependant quelque moyen d’en sortir ?

Consultons les sciences : l’astronomie, la physique, la chimie, la biologie. Aucunes des lois qui sont l’objet de ces sciences ne sont peut-être telles que nous croyons les connaître. Tout en elles est relatif à la nature de nos organes et de nos facultés ; et les objets extérieurs, tels que nous les percevons, ne sont que des phénomènes psychologiques. Il semble qu’il y ait au moins deux objets qui, par leur nécessité absolue, échappent à cette subjectivité de tout le reste des choses : ce sont le temps et l’espace. Mais cette prétendue nécessité n’est que celle de notre organisation intellectuelle ; le temps et l’espace ne sont peut-être que des conditions de notre sensibilité, des moules ou cadres dans lesquels les choses viennent prendre la forme qui nous permet de nous les représenter.

Ainsi tout est subjectif dans nos connaissances. Mais, s’il ne nous est pas permis d’affirmer que les choses soient telles que nous les percevons, nous est-il au moins permis d’affirmer qu’elles existent ? Si cela était, la métaphysique serait possible : sans connaître les choses en elles-mêmes, il nous suffirait de savoir qu’il y a en dehors de nous une multitude de phénomènes, par conséquent une multitude d’êtres et des changements dans ces êtres. Mais cette dernière connaissance, nous ne l’avons même pas d’une manière certaine.