Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/573

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
563
séailles.l'esthétique de hartmann

rationaliste et optimiste a salué un Kotzebue avec enthousiasme, quand Gœthe et Schiller lui offraient leurs chefs-d’œuvre. L’optimisme de Hegel l’a conduit à élever la comédie au-dessus de la tragédie, qui pose dans toute sa profondeur le problème du mal et lai donne la seule solution possible. « La tragédie, dit W. de Humboldt, nous ramène en nous-mêmes, et avec l’épée qui tranche le conflit, elle nous sépare en un instant de la réalité et de la vie, qu’elle nous apprend moins à aimer qu’à rejeter avec courage. » Si l’optimiste doit rejeter la tragédie, tout homme qui se réjouit du tragique témoigne par ce plaisir même qu’au fond il est pessimiste, et qu’il reconnaît dans la mort du héros la conciliation transcendante du conflit, que sa nature rendait inconciliable sur la terre. Un conflit sans conciliation est esthétiquement impossible ; où manque la conciliation par la paix, il faut la conciliation par la mort. Quand le héros est lassé de la souffrance « comme une bête fauve de la poursuite des chasseurs, » il s’arrête, il reconnaît la nécessité de la douleur pour l’être, la folie de tout effort, et alors jaillit en lui comme un éclair cette pensée : « La vie n’est pas le plus grand des biens. » Ce n’est que dans ce renoncement à la lutte qu’il arrive au bonheur relatif qui consiste à ne plus souffrir. Mais même après cette abdication la vie est une charge. La mort est la seule solution définitive, comme le sommeil après la fatigue ; on la cherche si elle ne vient pas d’elle-même. Le suicide qui conclut tant de tragédies montre combien il est faux de chercher au dénouement un châtiment moral. La croyance à l’immortalité personnelle, à une vie où se continuent les souffrances et les regrets de la vie présente, est contraire à la tragédie et la supprime : la mort n’est plus une solution. Le panthéisme au contraire est favorable au tragique. Si après la disparition de l’individu, l’Être éternel, la substance absolue, souffre encore dans d’innombrables formes individuelles, il est pourtant consolant de savoir qu’un individu accablé de souffrance a un remède toujours prêt : la possibilité de disparaître. D’autre part la croyance à un être transcendant donne tout son sens à la conciliation tragique : elle permet de pressentir dans l’affranchissement de l’individu l’affranchissement définitif et universel de l’Être absolu, cessant de parcourir son cycle de souffrances. Le héros de tragédie qui meurt crie à tous les spectateurs les paroles du Christ : « Dans ce monde vous souffrirez, vous serez affligés, mais soyez consolés, j’ai vaincu le monde. »


À propos de cette étude sur le drame nous ne pouvons que répéter notre conclusion sur l’esthétique générale : tout ce qui tient à la