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sairement le héros à la mort, qu’il soit d’une nature inconciliable. Il ne suffit pas que l’issue sorte du conflit, il faut que celui-ci naisse du caractère avec nécessité. Quand le héros verrait avant d’agir toute la suite des faits qui le conduisent à une destinée inévitable, il n’agirait pas autrement qu’il n’agit. La catastrophe est la déduction logique du conflit. Le conflit, la déduction logique du caractère. C’est alors que naît la terreur tragique à l’idée qu’il y a sur la terre des passions d’une violence qui tue ; que chaque caractère porte en soi avec nécessité un destin redoutable ; qu’en tout homme sommeillent des conflits meurtriers, qu’une circonstance, qu’un hasard peut faire éclater. Chez les Grecs, le Fatum, chez Shakespeare et les modernes le déterminisme absolu sont des conditions nécessaires de l’esthétique du drame. De ce point de vue nous pouvons encore marquer combien est étroite la théorie qui fait de la tragédie une leçon de morale. Le conflit naît d’une passion exagérée par une disposition native, surexcitée par les circonstances, qui détruit l’équilibre de l’âme et s’efforce de briser tout obstacle. Cet obstacle qui réagit peut être ou la volonté autorisée d’une autre personne, ou une autre passion indifférente et même contraire à la moralité, ou enfin un principe moral se rattachant à l’organisation de la famille et de la société. C’est donc un pur hasard si l’action du héros qui amène le conflit a le caractère d’une faute morale, dont la catastrophe est le châtiment. Ce qui importe à l’effet tragique c’est que le spectateur ait la claire conscience de l’impossibilité absolue d’échapper à son caractère et aux événements tragiques qu’il renferme.

Comment maintenant trouver dans cette fatalité le principe d’une jouissance. Si ce destin conduisait tous les êtres au bonheur, on comprendrait le plaisir du spectateur, mais que peut avoir d’agréable pour lui la nécessité où est le héros de se préparer à lui-même les plus grandes souffrances. Quelles émotions excite en nous la tragédie ? Deux émotions pénibles : la terreur et la pitié. De quoi se compose-t-elle ? D’un conflit sans conciliation possible, et de la catastrophe qui le termine violemment. À quoi aboutit-elle ? À l’intuition de la nécessité où est l’homme de se faire à lui-même les derniers des maux dans certaines circonstances déterminées. Ne devrions-nous pas fuir la tragédie, comme nous fuyons la douleur ? Ne faut-il pas lui préférer la tragi-comédie, où le héros par sa fidélité (Cymbeline), par son patriotisme (Guillaume Tell), est victorieux des obstacles, qu’élève devant lui le monde extérieur.

L’homme qui trouve la vie digne d’être vécue, belle et désirable, doit proscrire le tragique ; voilà pourquoi le philistin, le protestant