Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/549

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
539
analyses.béraud. Étude sur l’idée de Dieu.

Le préjugé qui fait de Kant un sceptique, un docteur du subjectif, est le contre-pied de la vérité. Pour lui, tout dans la science est objectif, en ce sens que tout y est objet, objet pensé, réel et véritable. Le sens commun est de son avis : il ne quitte pas la réalité du fait pour la chimère de la chose en soi ; il prend naïvement les choses comme elles s’offrent, sans se demander si elles ne sont pas autres qu’elles paraissent, et si l’esprit n’altère pas ce qu’il touche. À ses yeux, comme à ceux de Kant, l’esprit et la chose ne sont pas seulement d’accord ; ils se confondent et ne sont qu’un ; mais il y a deux faces dans cette chose, la face nécessaire et la face contingente, la loi et le fait.

Loin d’ébranler l’édifice de la science, la Critique le fonde sur le roc d’une nécessité inhérente à l’esprit. Tant qu’il y aura une pensée, le fait seul de son existence nous assure qu’elle trouvera devant elle les lois, au moins abstraites, des choses, telles qu’elles lui paraissent aujourd’hui, puisque ces lois sont en même temps les siennes, la condition sans laquelle elle ne serait pas. Nous verrions avec plaisir M. Béraud plus dogmatique que Kant sur ce point.

En attendant, il commence par l’idée de Dieu la série de ses éliminations préalables, comme par la plus exigeante de nos idées, et la plus incompatible avec la construction régulière d’une métaphysique capable de servir de base à la science.


L’ouvrage se divise en trois parties : la 1re examine les preuves de l’existence de Dieu, la 2e sa nature et ses attributs, la 3e ses rapports avec le monde. L’espace nous manque pour suivre l’auteur dans le détail d’une étude d’autant plus longue, qu’il s’est moins préoccupé d’en éclairer le contenu et d’en justifier les divisions par une critique approfondie et générale, dont Kant avait donné l’exemple. Il était d’autant plus nécessaire pourtant d’orienter le lecteur, qu’on le met en présence non d’un adversaire et d’un système, mais de plusieurs, qu’il n’est pas permis de prendre l’un pour l’autre. Un jugement général sur des doctrines aussi distinctes que celles de Descaries et de Leibnitz, de Clarke, de Malebranche, etc., suppose une réduction préalable de ces doctrines aux principes communs qui peuvent les dominer. M. Béraud, en négligeant cette précaution, s’est exposé au reproche de frapper dans le vide, et sa critique n’a pas l’autorité qu’elle devrait.

M. Béraud rejette la division kantienne des preuves de l’existence de Dieu, division bien générale sans doute, parce qu’elle se fonde sur les principes, mais qui n’en doit pas moins, croyons-nous, servir de cadre à une division plus complète. Il y substitue, sans la justifier autrement que par la coutume, la division vulgaire en preuves cosmologiques, métaphysiques et morales.

L’argument tiré de la contingence des êtres se présente le premier sous sa plume, et il ne le ménage pas. L’idée de la contingence lui paraît une fiction contradictoire. Le monde est nécessaire ; il se suffit, et la nécessité qui le soutient est celle qui enchaîne chaque être non