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dans sa pensée ce singulier catéchisme où les raisons de ne pas croire s’accumulent, se pressent, et, de peur de manquer le but, se donnent à peine le temps de l’atteindre. M. Béraud pourtant croit à la métaphysique, à celle de demain, il va sans dire, à la métaphysique définitive dont la science a besoin, et qui ne manquera pas de naître, dès que la critique aura déterminé, une fois pour toutes, la valeur objective de nos idées.

L’empirisme n’est pas le vrai : il y a une part à faire à l’activité propre, spontanée, à priori de l’esprit, ou, puisque l’auteur préfère, au travail inconscient du cerveau. En un mot, et quoi que cette dernière expression semble entraîner, la pensée est quelque chose de dernier, d’irréductible, d’indépendant. « Les réalités sensibles ne sont et ne peuvent être que des participations aux réalités transcendantes, et, par là, toutes nos connaissances ne peuvent être telles, que par leur participation aux connaissances transcendantes. » L’ensemble vaudra ce que celles-ci valent ; il s’agit donc de le déterminer.

Tout en rendant justice à Kant, qui a posé le problème, M. Béraud a « une trop grande confiance dans nos facultés > pour adopter sans réserve sa solution ; aussi, « se conformant à la méthode psychologique, qui veut que des faits de nature différente soient attribués à des facultés différentes, » distingue-t-il dans la raison trois facultés transcendantes, qu’il énumère dans cet ordre : l’imagination transcendante, l’entendement et la raison proprement dite. La première est la faculté des conceptions pures, des fictions sans réalité ; la seconde est la faculté de juger, qui s’exerce soit sur les réalités sensibles, soit sur les fictions pures, soit sur les réalités transcendantes, objet de la troisième faculté.

Tout le problème consiste donc à distinguer l’imagination transcendante de la raison proprement dite. Kant Ta résolu d’une manière simple et profonde qui, pensait-il, donnait pleine satisfaction aux intérêts de la science. On ne le conteste plus guère ; M. Béraud en est encore au Kant sceptique que l’on sait, comme il en est au Kant inconséquent. Si l’étendue, dit-il, n’existe pas, il est évident que la matière n’est pas étendue. Dès lors que deviennent nos perceptions, que devient la matière, et les sciences dont elle est l’objet, depuis celle des mouvements sidéraux jusqu’à celle des organismes vivants ne sont-elles pas supprimées d’un seul coup ? On comprend l’émotion de M. Béraud : l’auteur de la Critique l’approuverait fort, mais serait bien étonné d’en être la cause. Oui, dirait-il, l’étendue existe, elle existe même dans les objets, mais dans les objets pensés, et l’esprit n’en peut saisir d’autres. Il n’y a pas deux choses dans la perception, mais une seule, un phénomène, une pensée, tout entière objective, ou si une distinction peut y être faite, elle est tout à l’avantage de l’élément nécessaire. Le subjectif pur n’est rien, qu’une forme, réelle seulement dans son union avec une matière contingente ; ni non plus le pur objectif, si l’on entend par là quelque chose qui serait dans l’objet sans que l’objet fût dans la pensée.