Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
43
ribot.m. taine et sa psychologie

en loup ou même en cadavre[1]. Dans cet immense polypier d’images qui constitue la vie mentale de chacun de nous, il existe un perpétuel struggle for life ; mais celles qui arrivent au jour sont soutenues par un grand nombre d’autres, à demi réviviscentes, auxquelles elles s’associent par des rapports de toute sorte.

L’originalité de sa théorie consiste donc à faire dépendre l’identité des phénomènes exclusivement. Si elle ne résout pas toutes les difficultés, elle a du moins le mérite de ne pas recourir à cette explication illusoire d’une substance, dont on ne peut rien dire que ce que nous savons de ses qualités ; à moins qu’on se plaise à l’appeler une force, ce qui ne nous avance pas beaucoup plus. Mais c’est une habitude tellement enracinée dans certains esprits, tellement difficile à perdre, qu’ils ne peuvent admettre que l’addition d’un fantôme inconnu, la substance, n’ajoute rien de solide à notre connaissance.

Notre critique porterait sur un point beaucoup plus modeste. En exposant le mécanisme de la connaissance, il était indispensable que M. Taine nous montrât comment nous connaissons le moi ; toutefois si sa théorie veut être une explication complète de la nature même du moi (non plus de la manière dont nous le connaissons) une objection se présente. Dans son Traité de l’Intelligence, il a complètement omis, comme il le devait, l’étude des sentiments, émotions, passions, désirs, volitions ; mais quand il s’agit de déterminer ce qui constitue le moi, la personne, ces éléments n’ont-ils pas une importance bien plus grande que les pures images et les faits intellectuels ? Ce sont ces phénomènes, avant tout, qui sont nôtres et nous-mêmes ; en sorte qu’il nous paraît inévitable que, dans son étude sur les Émotions et la Volonté, la question du moi soit reprise sous un nouvel aspect.

IV

Nous n’avons voulu, dans les pages qui précèdent, ni présenter l’analyse d’ouvrages qui sont aux mains de tout le monde, ni en faire la critique, les principes et la méthode de l’auteur nous paraissant les seuls admissibles en psychologie. Notre but était, avant tout, de montrer ce qui appartient en propre à M. Taine : c’est ainsi que nous n’avons pas noté diverses théories qui se trouvent ailleurs — la notion d’étendue ramenée à la succession, les rapports du physique et du moral ramené au rapport de la sensation élémentaire et du

  1. Voir en particulier Griesinger : Traité des maladies mentales, trad. française, pages 57, 252, 253, 285 et suiv., 389, 393-395.