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absolue, il est l’idéal ; mais il varie comme les manifestations de l’intelligence suprême, qui travaille lentement à la délivrance finale et transforme sans cesse son mode d’action selon les nécessités du progrès universel. De cette nature objective du beau, rattaché à son créateur, nous pouvons conclure que fait par l’esprit et pour l’esprit, il répond aux lois de notre intelligence, avec laquelle il doit s’accorder. Ainsi se trouvent conciliés l’idéalisme et l’empirisme : avec le premier nous affirmons l’origine supérieure du beau, l’existence de l’idéal ; avec le second nous déclarons que les formes du beau varient, que les types immuables du platonisme sont des fictions de l’esprit de système ; qu’il est nécessaire de déterminer les conditions psychologiques et physiologiques de l’émotion esthétique, et que cette analyse des lois subjectives constitue le corps de la science du beau, dont l’idéalisme ne donne que les conclusions. En un mot, seuls les platoniciens comprennent et sentent la beauté, seuls les empiriques réussissent à l’expliquer.

S’il nous fallait apprécier cette théorie de M. de Hartmann, nous dirions avec le regretté M. Léon Dumont[1] : « Sur presque tous les points de l’analyse psychologique nous partageons les vues de M. de Hartmann, c’est là seulement où commencent les explications transcendantes, que nous sommes obligé de nous séparer de lui. » Ce qu’il y a en effet de plus remarquable dans la philosophie de l’inconscient, ce sont les théories de détail, les explications ingénieuses, qui ne sont ni les conséquences, ni les principes nécessaires du système : quant aux conclusions spéculatives, elles semblent trop souvent les jeux d’un esprit subtil, qui se distrait à la philosophie. Tout ce qui tient à la nécessité d’établir le pessimisme nous paraît inacceptable. Comment concilier avec l’expérience cette affirmation que le plaisir n’est pas primitivement senti, qu’il suppose une réflexion préalable sur la douleur et sur les causes qui le font naître ? Comment comprendre que l’idée et la volonté indissolublement unies dans l’inconscient soient sans cesse en lutte ? que dans une même substance puissent coexister deux principes ennemis[2] ? Que dans un même être deux facultés puissent rester entièrement étrangères l’une à l’autre, et la volonté échapper à la direction de l’intelligence suprême ! Mais si nous oublions ce que veut prouver M. de Hartmann pour ne tenir compte que de ce qu’il établit, nous nous trouverons le plus souvent en accord avec lui. Seule la méthode de conciliation qu’il expose permet de fonder Une esthétique qui, sans être contredite par les faits, laisse toute sa valeur à la beauté. L’étude subjective

  1. Art. sur la Philosophie de l’inconscient : Revue scientifique, I, 1872.
  2. V. Léon Dumont. Rev. scientif., art. cité.