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De là cette conclusion suffisamment justifiée par ce qui précède :

La douleur est constituée par un ébranlement du système nerveux sensitif et de la conscience qui persiste bien plus longtemps que la cause qui l’a produite.

10° Les anesthésiques agissent surtout en supprimant le souvenir et l’ébranlement de la douleur, ce qui revient à supprimer la douleur même.

Nous passons maintenant à un ordre de faits moins généraux peut-être, mais encore extrêmement fréquents, je veux parler de deux caractères spéciaux à la douleur : l’irradiation et l’intermittence.

Remarquons d’abord le contraste étrange qu’il y a pour la sensibilité à la douleur entre les gros troncs nerveux, et les dernières ramifications cutanées des nerfs. Une vaste brûlure intéressant la moitié de la jambe est bien plus douloureuse que ne le serait la brûlure du nerf sciatique, un grain de poussière sur la conjonctive oculaire fait presque autant de mal qu’une balle traversant la cuisse, et il n’y a aucun rapport rigoureux à établir entre l’excitation même et la perception de cette excitation : autrement dit, par suite de la disposition des nerfs à leur périphérie, il peut se faire qu’une excitation très-faible soit très-douloureuse, alors qu’une excitation forte des troncs nerveux n’est pas sentie plus fortement.

Une expérience très-curieuse montre bien quelle est l’influence des organes nerveux périphériques qui renforcent l’excitation. Si une grenouille est empoisonnée par la strychnine, son système nerveux sensitivo-moteur est excité de telle sorte que la moindre excitation de la peau, le plus léger contact produisent un tétanos général de tous les muscles : mais si, au lieu de toucher la peau, on touche le nerf lui-même, qui est évidemment le seul conducteur de ces impressions sensitives, il n’y aura aucun tétanos. J’ai même, en agissant avec précaution, souvent pu détruire complètement le nerf par le fer rouge, sans provoquer cette réaction réflexe que la moindre excitation tactile amène si facilement. Cette expérience est très-instructive car elle démontre le rôle considérable que jouent dans toute excitation nerveuse, les appareils nerveux de la périphérie tégumentaire.

Il est très-probable qu’il en est de la sensibilité à la douleur comme de l’excito-motricité de la moelle et que les lésions traumatiques de la peau excitent bien plus les centres, que les lésions traumatiques des nerfs. Il y a là évidemment pour les nerfs de sensibilité générale un fait analogue à l’excitabilité des nerfs spéciaux. Les impressions lumineuses n’exciteraient ni le nerf optique ni les tubercules quadri-