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muscle, il y a à l’état normal une certaine élasticité ; dans le cerveau, est une force analogue que l’excitation doit surpasser pour produire un effet sensitif, et les forces extérieures vont, en s’accumulant dans les centres nerveux, produire un effet proportionnel à la durée aussi bien qu’à l’intensité de l’excitation.

Il semble que cette comparaison entre l’organe de la pensée, et l’organe du mouvement présente certains avantages au point de vue de la dynamique physiologique. Elle montre que le cerveau représente à la fois une force de tension et une force de dégagement. En tant qu’excitateur des actions musculaires, il agit comme force de tension, en tant que percevant des excitations sensitives, il agit comme force de dégagement : peut-être pourrait-on ramener toutes les excitations musculaires à une prodigieuse série d’excitations sensitives antérieures accumulées et transformées, mais ce n’est encore qu’une hypothèse, et les sciences biologiques ne s’accommodent guère d’hypothèses.

L’étude de la douleur est singulièrement éclaircie par ces faits relatifs à la sensibilité normale, et il est facile de montrer que la douleur et la perception sensitive sont soumises aux mêmes lois, et que tout se passe comme si la douleur était une sensation forte.

Voici une expérience très-simple qui vient à l’appui de ce que j’avance.

J’ai fait construire une pince à pression graduée dont les deux mors sont minces et arrondis : on peut ainsi saisir un repli cutané entre les deux mors de la pince. On augmente rapidement la pression jusqu’au moment où on sent la peau pressée assez fortement, puis on laisse la pince en place. Au bout de quelques instants, la douleur, qui n’existait pas d’abord, finit par apparaître. Elle vient graduellement, comme par ondées : à chaque seconde, c’est un élancement douloureux, plus douloureux que le précédent, en sorte que la douleur finit par devenir insupportable. Naturellement, la pression de la pince n’a pas augmenté, c’est la même excitation qui, en s’accumulant, a fini par produire de la douleur.

Voici donc une expérience que tout le monde peut reproduire facilement, et qui démontre, de la manière la plus formelle, l’influence de la durée de l’excitation sur la sensation douloureuse ; une excitation modérée, mais prolongée, produit le même effet, à la longue, qu’une excitation plus forte, mais dure moins de temps.

On pourrait d’ailleurs citer bien d’autres exemples. Un coup violent au pied détermine d’abord une sensation de contact, et plus tard seulement, quelques dixièmes de seconde après, la sensation de douleur.