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Charles richet.la douleur

enflammés sont sensibles, ce que l’on peut expliquer du reste très-bien si on se rappelle qu’il y a des nerfs dans les tendons ; c’est un utile rapprochement à tenter que de comparer cette sensibilité des tendons malades à la sensibilité des nerfs malades. Le nerf hypéresthésié a gagné autant de sensibilité que le tendon, et entre un nerf malade et un nerf sain, il y a la même différence de sensibilité qu’entre un tendon malade et un tendon sain. Seulement la sensibilité du nerf sain est déjà exquise, tandis qu’elle est très-obscure sur le tendon sain. Romberg déclare que le tiraillement d’un nerf sain est peu douloureux, tandis que le tiraillement d’un nerf enflammé est atrocement pénible.

Un fait intéressant nous montre bien la différence qu’il y a entre l’excitabilité d’un nerf sain et celle d’un nerf enflammé, en dehors de toute condition psychique. Tarchanoff a montré qu’en excitant le mésentère ou l’intestin d’une grenouille, on n’obtenait pas facilement le réflexe d’arrêt cardiaque signalé par Goltz. Si on laisse le péritoine exposé à l’air, en quelques heures il s’enflammera et les nerfs sensitifs seront tellement hypéresthésiés qu’il suffira du plus léger attouchement pour arrêter les mouvements du cœur.

L’état des centres nerveux joue aussi un rôle parfois très-important. Les gens névropathiques, les malades, les convalescents souffrent même d’une très-légère excitation ; elle leur paraît douloureuse. Ainsi le roulement d’une voiture sur le pavé, l’ébranlement de leur lit, un bruit un peu fort, une lumière trop vive leur deviennent insupportables.

Ces considérations sur l’état des nerfs et leur rapport avec la sensibilité ont un certain intérêt en physiologie psychologique. En effet nous savons maintenant que les nerfs (et les centres nerveux) sont dans un état d’équilibre qu’une excitation extérieure vient détruire. En dernière analyse, l’excitation d’un nerf n’est pas autre chose qu’un changement d’état de ce nerf, et une rupture d’équilibre. Helmholtz a nommé force de tension, cet état des nerfs : on peut donc considérer la sensation comme étant une force de dégagement, résultant de la différence entre la force d’excitation et la force de tension des nerfs.

Supposons, par exemple, un système nerveux ayant un certain état , qui représente sa force de tension, et une force d’excitation (électrique ou autre) dont la valeur F sera égale à . Toute la force sera employée à annihiler la force de tension et la sensation sera nulle : si au contraire est plus grand que , il y aura sensation, d’autant plus forte que la différence entre et sera plus grande, et si nous supposons ayant une valeur constante, la sensation sera