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ribot.m. taine et sa psychologie

et psychologiques de la renaissance des images qu’au mécanisme de cette renaissance. M. Taine a eu le mérite d’attaquer le point vraiment difficile et, pour lui, la solution est encore ici dans un antagonisme.

Le souvenir, dit-il, est comme la perception extérieure une hallucination vraie, c’est-à-dire une illusion qui aboutit à une connaissance. Mais l’antagonisme naturel entre la sensation et l’image n’existe ici que sous un seul rapport. Entre un état de conscience qui m’est donné comme actuel — décrire la mémoire d’après M. Taine ; et un fait qui m’apparaît comme passé — avoir lu son Traité de l’Intelligence, il n’y a antagonisme que sur un point : la négation de la simultanéité des deux faits. L’enrayement du travail hallucinatoire est ici un minimum. De cet arrêt de développement résulte un produit psychologique ayant un caractère spécial, à peu près comme dans les végétaux, les diverses parties de la fleur résultent d’un arrêt du développement des pétales. M. Taine, on le voit, pratique toujours cette méthode qui, bannissant les entités, essaie de tout expliquer par un petit nombre de faits primitifs et de montrer comment la diversité des états secondaires naît d’une diversité de rapports. Il a montré aussi comment, en vertu du même mécanisme, l’image enrayée par « la sensation présente sur un seul point (l’exclusion de la simultanéité) es.t située tantôt dans le passé à titre de souvenir, tantôt dans l’avenir à titre de prévision ; comment, par une opération qui consiste en coups de bascules multipliés, l’image se place dans un coin du temps, s’intercale et s’emboîte au lieu convenable dans une série. — Il est remarquable que M. Taine, que l’on représente volontiers chez nous comme un simple disciple des Anglais, a non seulement une explication du mécanisme de la mémoire qui lui est tellement propre qu’elle ne se trouve ni dans Spencer, ni dans Bain, ni dans Mill ; mais qu’il mentionne à peine la loi d’association qui joue un si grand rôle dans la psychologie anglaise et à laquelle il nous semble même qu’il n’a pas accordé, ici du moins, l’importance qu’elle mérite.

Il y a encore un point sur lequel il n’insiste pas suffisamment, et qui est fondamental dans la mémoire : c’est la question de la durée des états de conscience. Il se contente de dire en passant : « Toute image, à plus forte raison toute série d’images, a une durée d’où il suit que toute image occupant un fragment du temps, possède deux bouts, l’un antérieur, plus voisin des événements précédents, l’autre postérieur, plus voisin des événements ultérieurs, le premier contigu au passé, le second contigu à l’avenir. » (Tome I, p. 462). La durée de l’état de conscience est hors de doute : ce n’est pas seu-