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millièmes de millimètre. Ce fait que chaque partie de notre épiderme, que chaque point de notre rétine possède une manière de sentir qui lui est propre, jette un grand jour sur le mécanisme de la localisation à son premier stade. — M. Taine accorde aux sensations musculaires une importance convenable dans le fait de la localisation. Nous regrettons cependant que dans son étude des divers groupes de sensations, il n’ait pas examiné celui-ci plus longuement. Le fait de la sensation musculaire, c’est-à-dire d’un certain état de conscience qui accompagne certains états ou efforts de nos muscles, ne saurait être mis en doute. Mais y a-t-il un sens musculaire, distinct du sens du toucher, existant à titre de sens spécial ? C’est là un point très-débattu parmi les médecins et les physiologistes. Tandis que les uns, comme Ch. Bell, Gerdy, Landry, Carpenter l’admettent très-nettement, d’autres, comme Trousseau et Vulpian[1], le rejettent. Le recueil des observations pathologiques qui servent d’appui à l’une et l’autre opinion est considérable. M. Taine, qui les connaît assurément, aurait pu, du point de vue psychologique qui lui est propre, les soumettre à un examen critique et en tirer une conclusion utile.

Sans insister sur cette question de la localisation qui est l’une des mieux traitées du livre et où l’auteur a très-ingénieusement montré (Tome II, livre II, chap. 2, § 6) comment une série très-courte de sensations musculaires et rétiniennes de l’œil devient le substitut d’une série très-longue de sensations musculaires et tactiles des membres et du corps, arrivons au deuxième problème : qu’est-ce que la réalité ?

Jusqu’ici nous n’avons trouvé que des illusions et des apparences. Y a-t-il quelque chose de plus ? — Stuart Mill, dans un célèbre chapitre de son Examïnation of sir William Hamilton’s Philosophy, qui est le chef-d’œuvre de ce subtil dialecticien, se décide pour la négative. Le monde extérieur, les corps ne sont pour lui que des possibilités de sensation. Nos sensations actuellement éprouvées, dit-il, étant fugitives et peu nombreuses, s’opposent par là même aux groupes de sensations antérieurement éprouvées, que nous avons la croyance constamment justifiée de pouvoir éprouver de nouveau dans certaines conditions et qui d’ailleurs sont infinies en nombre. Ces groupes de sensations possibles, liées entre elles, en vertu de la nature même de notre esprit, par les lois d’association et de causalité, nous apparaissent comme un tout homogène, comme la chose importante et permanente dans notre connaissance. C’est à ces

  1. Trousseau. Clinique médicale, Tome II, ch. 60. — Vulpian, Dictionnaire encyclop. des sciences médicales. Article Moelle.