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dans une sphère, même rigide, qui tournerait, chaque point venant occuper une position qu’occupait un autre point. Un corps réellement mobile est celui qui, tous les autres corps de la nature étant supprimés (en tant qu’agents mécaniques, et sauf leurs traces ou contours géométriques), continuerait à changer de position par rapport aux situations précédemment occupées par ces corps. Cette définition ne compromet pas le principe d’inertie ; mais plutôt elle en révèle le sens exact, et y fait voir la définition exacte du mouvement réel. Elle implique l’idée d’un Espace qui est l’ensemble des positions des corps, et non cette bizarre idée de trois axes absolus, idée plutôt contraire qu’identique à celle des trois dimensions de l’Espace : car, parler de celles-ci, c’est dire que par un point quelconque d’une droite indéfinie quelconque, je peux mener deux autres droites indéfinies perpendiculaires à la première et entre elles ; ce qui laisse les directions et l’origine des trois axes absolument indéterminées. Enfin, dès lors, le mouvement réel se distingue en ce seul point, qu’il a sa raison d’être avec lui-même, qu’il est directement le produit d’une force. Le mouvement apparent est au contraire celui dont on ignore s’il a sa cause avec lui ou au-dehors. Il n’existe donc pas d’antinomie entre les deux : traiter tout mouvement comme relatif, ce n’est pas nier l’existence des mouvements réels, c’est faire abstraction des causes du mouvement. Cet artifice est le propre de la Cinématique. La Dynamique, au contraire, fait entrer en ligne de compte la force. Ce sont là deux points de vue divers et permis. Il ne faut pas nous étonner si les meilleurs philosophes ont considéré le mouvement en se plaçant à l’un et à l’autre, selon les cas : ils en avaient le droit ; et en cela, quoi qu’en dise M. Liebmann, Descartes ni Kant ne sont pas tombés dans une contradiction.

Sur la Théorie de la Vision. M. Liebmann montre avec force que l’idée d’Espace ne saurait nous venir des sens. Il attaque d’abord l’Empirisme sur ce point. Spencer, dit-il, veut déduire l’Espace du Temps : d’après lui, lorsqu’ayant suivi une série de perceptions, nous pouvons la reproduire à volonté en sens inverse, nous savons par là que les choses perçues coexistent et sont dans l’Espace. Eh bien donc, essayez de monter puis de descendre une gamme : les notes perçues seront-elles davantage des objets étendus ? Non : avec des sensations où l’Espace n’entre pas, vous ne construirez pas l’Espace. — M. Liebmann vient ensuite au Nativisme, à la théorie prétendue Kantienne de Müller. Selon Millier, chaque sens « a conscience de son étendue, » et par conséquent perçoit avec l’impression qu’il subit en une de ses parties, l’étendue de cette partie. Mais alors l’Espace est un attribut réel des organes des sens : il y a une rétine en soi, qui est étendue ? Ainsi Müller transforme la notion subjective de l’Espace en perception d’un Espace objectif : c’est proprement de l’Empirisme ; et Ueberweg, le défenseur de l’Espace absolu, l’a bien vu, quand il s’est rangé à l’avis de Müller. — À ces théories, M. Liebmann oppose la théorie de la projection, c’est-à-dire cette théorie de Kepler, d’après laquelle la perception est, au fond,