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Il est très-certain que la mer est éclairée du soleil : supposons à présent que le creux de la mer ne soit point rempli d’eau, mais d’air ; cet air serait éclairé des rayons du soleil, et par conséquent la chaleur y serait excessive[1].

Toutes les choses visibles sont des corps : or le corps est l’étendue en longueur, largeur et épaisseur ; l’étendue est divisible et mobile et peut avoir des figures.

Il faut donner de l’admiration et de la curiosité pour la philosophie, qui est la science de raisonner pour tout ce qu’on voit par les yeux de l’esprit et du corps, que sans elle on ne sçait pas de quoy l’on parle.

Avoir de l’esprit dans le monde, ce n’est que sçavoir exciter dans les hommes de certains sentiments et c’est ce qu’on appelle autrement rhétorique, au lieu que le véritable esprit, selon les philosophes, c’est de savoir exciter dans les autres des idées claires et distinctes des choses, et c’est ce qu’on nomme proprement philosophie.

Il faut avoir de la curiosité pour voir qui a tort, qui a raison de ces deux sectes de philosophes anciens et modernes[2].

Pour se défaire de ses préjugés il faut considérer l’âme en tant qu’elle voit les objets par le seul organe intérieur qui est l’imagination, lorsqu’on dort et que tous les autres organes des sens n’agissent point.

Il est certain qu’elle peut avoir alors toutes les sensations qu’on a pendant qu’on est éveillé : cela est si connu à un chacun par sa propre expérience qu’il serait superflu d’en donner des exemples.

Il faut méditer souvent sur tout ce qui se passe en nous dans le sommeil pour pouvoir se convaincre de la vérité de cette proposition, que les sentiments de notre âme ne sont point semblables aux mouvements qui se font alors dans notre cerveau.


On a peut-être remarqué que ce fragment écrit quelque temps après les Entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle (1686), par conséquent après le premier volume de la Recherche de la vérité (1674), les Conversations métaphysiques et chrétiennes (1679), le Traité de la nature et de la grâce (1680), le Traité de morale (1684), a tout l’air d’être l’œuvre d’un esprit qui cherche à chasser le doute, en se convainquant de l’inanité de quiconque ne philosophe pas, en se répétant ses thèses familières, en se livrant à une critique minutieuse d’opinions sans fondement scientifique. Si l’on songe aux luttes que Malebranche n’a pas cessé de livrer contre ses adversaires, théologiens, sceptiques, philosophes, savants, on concevra qu’une intelligence si ardente dans ses convictions et si désintéressée ait eu quelquefois à subir des crises violentes[3] et l’on ira chercher dans un

  1. Ce paragraphe vient logiquement après ces mots d’un précédent : « Il y ferait une chaleur étouffante. »
  2. Probablement dogmatiques et pyrrhoniennes. On sait que Foucher, « le restaurateur de la philosophie académique » au xviie siècle, a fait une Critique de la Recherche de la Vérité. 1675.
  3. À propos de l’obligeance désintéressée de Malebranche, on nous excusera de citer une lettre qui intéressera les littérateurs. C’est une religieuse qui parle. « Voilà une lettre que je viens de recevoir pour vous, mon révérend Père ; c’est la réponse et la requeste que vous avez eu la bonté de dresser à