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nolen.l’idéalisme de lange

Il a sans doute été précédé dans-cette voie par un homme dont le nom ne saurait être séparé du sien. Zöllner, dès 1864, dans son beau livre « Sur les Comètes[1] » (Ueber die Cometen), avait montré déjà que toutes les conquêtes importantes de la science nouvelle ont leurs antécédents ou trouvent leur justification dans la philosophie de Kant ; que les savants eux-mêmes ont besoin d’être défendus par l’étude et la méditation de la doctrine critique, aussi bien contre l’oubli trop fréquent, que contre l’application excessive des principes et des méthodes qui leur sont propres. Il reprochait aux savants, à Tyndall par exemple, de se montrer tantôt incertains et timides, tantôt trop confiants et téméraires dans l’application du déterminisme et de la causalité physique. Mais, à ses yeux, les principes du mécanisme n’expriment qu’un ordre nécessaire à l’interprétation scientifique du monde mobile et tout subjectif de nos sensations ; mais ils ne rendent compte ni de ces sensations, ni d’eux-mêmes. La matière, dont ils formulent les lois, n’est qu’un élément secondaire, qu’une abstraction, qu’un produit de la pensée réfléchie. La sensation lui est antérieure, comme fait primitif et irréductible de la connaissance. On ne pouvait plus résolument confisquer le matérialisme au profit de l’idéalisme critique, et affirmer que la réconciliation de la science et de la spéculation n’est réalisable que sur le terrain de la philosophie kantienne.

Dès 1865, Otto Liebmann, dans son intéressant opuscule « Kant et ses Épigones, » aboutissait à la conclusion semblable, qu’il maintient et fortifie dans son récent ouvrage, l’Analyse de la Réalité.

Mais c’est à Lange que revient l’honneur d’avoir décidé et précipité cette évolution des intelligences philosophiques dans l’Allemagne contemporaine.

Si le matérialisme n’est pas plus pour Lange que pour Zöllner la philosophie qui doit compléter l’œuvre de la science, il est certain pourtant qu’une philosophie ne sera acceptable qu’autant qu’elle saura faire, aussi largement que le matérialisme lui-même, sa part au mécanisme scientifique. Pour triompher du matérialisme, la philosophie devra l’absorber.

La doctrine de Kant est celle qui répond le mieux, selon Lange, à cette fin. Par sa théorie de la connaissance, elle reconnaît dans toute leur intégrité les droits du mécanisme ; et son idéalisme, dans une certaine mesure, satisfait tous les besoins esthétiques et moraux de la nature humaine. Les premiers disciples de Kant, ses successeurs immédiats, n’ont fait que développer, mais en les corrompant, les

  1. Voir l’analyse que nous avons donnée de cet ouvrage dans la Revue philosophique (numéro d’avril 1876).