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nous le comprenons ; mais qu’elle nous force à les distinguer dans l’espace, comment l’admettre ? Il semble qu’on ne le puisse en effet ; mais ce n’est pas une raison pour regarder notre hypothèse comme inutile ou infructueuse. On se tromperait grossièrement au contraire si l’on voulait qu’il en fût autrement, que les signes et fussent de nature à nous forcer de distinguer dans l’espace les sensations et .

Il y a, en effet, deux questions qu’il ne faut pas confondre. L’une est de savoir pourquoi l’âme arrange la multitude de ses sensations dans ce cadre de relations géométriques et non dans tel ou tel ordre tout à fait différent, mais dont, par suite de cette habitude merveilleuse d’intuition géométrique, nous n’avons pas la moindre idée.

L’autre question, supposant comme données, dans la nature de l’âme, et la faculté et la détermination de cette disposition des sensations, est simplement de savoir comment fait l’âme pour assigner dans cette intuition de l’espace, qui lui est nécessaire, à chacune de ses sensations sa place déterminée, en correspondance avec l’objet qui en est la cause.

C’est à cette seconde question seulement que nous prétendons répondre par notre théorie des signes locaux, et loin de vouloir satisfaire à la première, nous condamnons, comme impossible, toute tentative de résoudre ce problème insoluble. Non-seulement ce n’est pas un problème de psychologie physiologique, mais encore tous les efforts que la spéculation philosophique pourrait faire pour en donner la solution, demeureraient stériles comme ils l’ont été jusqu’à ce jour. On connaît, sous le nom de déduction de l’espace, ces entreprises téméraires qui, à l’aide d’une dialectique mystérieuse, se flattent de construire l’espace avec ce qui n’est pas l’espace ; elles ont toutes échoué ; ce n’est, en effet, que par des pétitions de principe qu’elles introduisent subrepticement la notion d’étendue, en prétendant l’avoir créée de toutes pièces. Des théoriciens d’aujourd’hui font profession de mépriser toute spéculation ; mais ils ne sont pas moins désorientés que leurs devanciers : comptant, comme sur le plus puissant talisman, sur la seule expérience, ils s’efforcent de faire produire l’intuition d’étendue et d’espace à une pure association de sensations ; ils échoueront comme les autres. Il ne sera jamais possible d’augmenter un nombre de zéros jusqu’à ce qu’il représente une quantité réelle ; il sera tout aussi impossible de tirer d’une association d’éléments un caractère tout à fait nouveau, dont aucun germe ne puisse se rencontrer dans ces éléments eux-mêmes. Il est difficile d’ailleurs de comprendre l’obstination avec laquelle, sans se lasser, on recommence toujours cette tentative. A-t-on